Critique : Sparta

Ewald s’est installé en Roumanie il y a plusieurs années. La quarantaine passée, il cherche un nouveau départ. Il quitte alors sa petite amie et part vivre dans l’arrière-pays où il ouvre un centre de judo pour jeunes garçons. Si les enfants profitent d’une nouvelle existence insouciante, la méfiance des villageois, elle, s’éveille rapidement. Ewald est alors obligé d’affronter une vérité qu’il a longtemps refoulée.

Sparta
Autriche, 2022
De Ulrich Seidl

Durée : 1h41

Sortie : 31/05/2023

Note :

LA CITÉ DES ENFANTS PERDUS

Au début de Rimini, le précédent film d’Ulrich Seidl présenté en début d’année à la Berlinale et qui sort dans les salles françaises cet automne, deux frères se retrouvent pour les funérailles de leur mère. Puis ils se séparent et reprennent leur chemin chacun de leur côté. C’est un dispositif qu’on a déjà croisé chez le cinéaste, lorsque les protagonistes de la trilogie Paradis se séparaient et allaient chacune vivre leur vie – à chaque fois des vies secrètes. Dans Rimini, Richie, chanteur de charme, repartait dans la station balnéaire italienne filmée comme un endroit perdu dans les limbes. Dans Sparta, Ewald retourne en Roumanie, mais comme son frère, comme la majorité des antihéros d’Ulrich Seidl, celui-ci a quelque chose à cacher.

Qu’y-a-t-il, pour citer l’un des documentaires du cinéaste, dans le sous-sol de ses personnages ? L’attention qu’Ewald porte aux enfants, lors de jeux dans la neige, de batailles dans le lit ou perché sur sa balançoire, semble vite louche. Ewald a des tendances pédophiles : voilà ce dont il devrait avoir honte, comme la sympathique dame de Paradis : Amour devrait être embarrassée de son tourisme sexuel, comme les différent.e.s intervenant.e.s dissimulant leurs plaisirs coupables dans Sous-sols. Mais la plupart des protagonistes du cinéaste cherchent le bonheur au mauvais endroit (dans l’amour, la foi, l’espoir) sans s’en rendre compte. Ewald est différent, car auprès de sa petite amie ou au volant de sa voiture, il a bel et bien honte de ses pensées et de ses pulsions.

« Dans mon travail, j’ai toujours essayé de comprendre les contradictions de nos actions et de nos pensées qui constituent l’essence de l’être humain », commente le cinéaste. Voici donc Ewald, voix fluette dans un corps massif – cette voix d’enfant qui contraste avec son apparence de vrai bonhomme (Georg Friedrich, un trésor). Seidl explore toute l’ambivalence de cette histoire inspirée de faits réels. Il ne s’agit évidemment pas d’excuser un personnage qui manipule des enfants, invente une fausse école de judo pour assouvir ses fantasmes, mais de regarder la réalité en face – malaise inclus. Ewald se prête à des jeux puérils avec les gamins, sur les têtes desquels sont posés des casques en plastique. Les jeunes corps sont exploités à la fois par la pédophilie et leur militarisation. Ewald les amène dans son fort, les enfants suivent, hypnotisés comme au son du joueur de flûte de Hamelin.

De leur côté, les pères dans Sparta font picoler leurs gosses, les cognent pour qu’ils soient des vrais mecs. Les mères sont quasi-absentes voire mortes – des frères Richie et Ewald aux enfants de Sparta, on semble dépeindre dans ce diptyque des générations entières mecs paumés sans leur mère. Les écoles sont abandonnées, les hôtels dans leurs éternel jus 70s, la ville entière semble être exsangue (et filmée de manière extraordinairement puissante). Au tout début de Sparta, un plan saisissant montre une mer de tombes à perte de vue. Les enfants semblent non seulement abandonnés par leurs parents, tombant aux mains du premier venu. Ils le sont aussi par leur pays, par un continent entier, peuplé de spectres en Italie comme en Roumanie. Pendant ce temps se dressent aux murs des vieux papiers peints des tropiques, péniblement éclairés par des néons. Ewald erre et erre encore, bille en tête. Monstre dans un autre film, homme monstrueusement ordinaire ici. Mais les nuances, chez un maître comme Seidl, n’empêchent jamais la clarté.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article