
Quatre jeunes filles à quatre époques différentes. Alma, Erika, Angelika et Lenka passent leur adolescence dans la même ferme, au nord de l’Allemagne. Alors que la maison se transforme au fil du siècle, les échos du passé résonnent entre ses murs. Malgré les années qui les séparent, leurs vies semblent se répondre.

Sound of Falling
Allemagne, 2025
De Mascha Schilinski
Durée : 2h29
Sortie : prochainement
Note :
NOUS ÉTIONS A LA MAISON, MAIS
Le lien entre le territoire et l’identité, la manière dont les lieux où l’on réside nous définissent définitivement ou non, traversent le cinéma allemand moderne. C’est ce qui a participé à faire des œuvres de Wenders et Herzog des perpétuelles explorations sans frontières, mais c’est aussi aussi ce qui transforme chaque portrait psychologique de l’Ecole de Berlin en poignants films de fantômes sans attache. Cette question est ici au cœur même du récit et de son concept. Quatre jeunes filles d’âges différents, quatre époques distinctes, mais un seul et même lieu : une ferme familiale qui passe de génération en génération. Ces récits ne paraissent pas avoir de liens immédiatement évidents entre eux, ils s’alternent et se répondent selon une logique non chronologique. Sound of Falling voyage dans le temps à mesure que l’on explore cette demeure pièce par pièce.
Le film n’a pas besoin de davantage de quelques minutes, d’un cut et d’un changement de ton sec pour faire de cette chaumière un terrain de jeu, une prison et un mausolée à la fois. Il y a bien quelques scènes en extérieur au fil de ces deux heures et demi, mais l’horizon de ces héroïnes ne s’étend guère plus loin que vers le ruisseau d’à côté. La cinéaste allemande Mascha Schilinski (qui n’avait jusqu’ici signé qu’un seul film, inédit en France) filme ces différentes époques dans un même code couleur sépia qui les rend délibérément moins aisées à distinguer les unes des autres, soulignant que rien ne change vraiment. Chacune de ces héroïnes doit faire face à ses propres enjeux (ceux de son âge, de son époque et de son statut familial), mais une même malédiction semble planer sur toutes. Ces femmes sont toutes chez elles, elles ne sont pas explicitement en danger dans la maison et pourtant quelque chose cloche. Unetelle rit toujours au mauvais moment, une autre est victime d’un hoquet révélateur… Mais quel est cet héritage qui semble ne jamais pouvoir quitter les murs de cette maison quasi hantée ?
Ces perpétuels va-et-vient temporels donnent à Sound of Falling un rythme particulier, qui demande d’autant plus de patience que le film bâtit son ambition et son étrangeté progressivement. La récompense est que, telle une éponge imbibée d’eau, le long métrage paraît ne jamais devoir cesser de gonfler et de s’amplifier. Sound of Falling ne choisit ni la voix du réalisme social en mode almanach champêtre, ni celle du film historique sagement appliqué, Schilinksi a beaucoup plus de singularité à offrir que cela. Que faisaient les femmes pendant que les hommes étaient au champs, à la guerre, au cimetière ? Elles pensaient. D’abord discrètes, les voix off des protagonistes se libèrent progressivement. A défaut d’avoir l’occasion ou le droit de s’exprimer dans la vraie vie, leur monologue intérieur joue des coudes pour prendre la place qu’il mérite, et décolle du réalisme pour faire pencher tout le film vers… vers quoi exactement ? Bien malin qui arrivera à réduire en une seule phrase ou slogan de quoi parle Sound of Falling.
Rétrospectivement , ce n’est pas un hasard si plusieurs des premières scènes sont filmées à travers des serrures ou des trous dans le mur, telles des vues subjectives craintives et cachées. Ce sont en effet les flux inconscients des héroïnes qui se libèrent progressivement et tissent une poésie à la dimension morbide inattendue. Gothique n’est pas un adjectif qu’on a souvent l’occasion de coller au cinéma allemand contemporain mais c’est sans doute celui qui colle le mieux à Sound of Falling, dont les scènes les plus stupéfiantes méritent de conserver toute leur surprise mais sont portées par des pulsions de mort dont le jaillissement et l’ampleur laissent coi. Cette fresque philosophique fait partie de cette famille de films où il semble à première vue ne pas se dérouler grand chose mais comme l’exprime magistralement l’un des meilleurs dialogues du long métrage : « on dit que ce sont les actes qui comptent, mais je pense plutôt que l’on est ce qui l’on pense ».
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par Gregory Coutaut