Après avoir décroché un boulot de vendeur en télémarketing, Cassius Green bascule dans un univers macabre en découvrant une méthode magique pour gagner beaucoup d’argent. Tandis que sa carrière décolle, ses amis et collègues se mobilisent contre l’exploitation dont ils s’estiment victimes au sein de l’entreprise. Mais Cassius se laisse fasciner par son patron cocaïnomane qui lui propose un salaire au-delà de ses espérances les plus folles…
Sorry to Bother You
États-Unis, 2018
De Boots Riley
Durée : 1h51
Sortie : 30/01/2019
Note :
EN DÉRANGEMENT
Il y a des cinéastes qui, dès leur premier film, rentrent parfaitement dans les cases, et suivent avec succès les voies solides déjà tracées par leurs ainés. Et il y a des cinéastes comme Boots Riley (leader du groupe de rap The Coup), qui dès leur premier essai accouchent de films fous. Des films gonflés d’inventivité ludique qui collent un sourire incrédule sur les lèvres tout en secouant sacrément. Des films qui font d’emblée des doubles six avec les dés et avancent de plusieurs cases à la fois, enjambant avec appétit les frontières entre les registres pour n’obéir qu’à leur propre boussole. Sorry to Bother You est à la fois un film politique, une comédie et un vrai film d’angoisse, et le plus incroyable c’est que tout cela se mélange avec une fluidité rare.
Sorry to Bother You commence comme une comédie burlesque et absurde. Les personnages se répondent à eux-même d’une scène à l’autre tandis que les décors bougent et se reconstruisent autour d’eux, un peu comme chez Gondry on Jonze, mais surtout comme dans des strips dessinés. Ça pourrait n’être qu’un gimmick, mais lorsque l’un des murs du nid douillet du héros se lève sans prévenir, se révélant être la porte d’un garage aménagé, le gag est déjà plein de sous-entendus fort sérieux. Outre la précarité du logement, ce mur qui disparaît nous dit aussi que l’intime est toujours à un cheveu de devenir une affaire publique. Et du public au politique, il n’y a qu’un pas. Mais de la comédie au politique? Un pas nettement plus grand, mais déjà franchi par le film.
Sous des apparences légères, le discours de Sorry to Bother You se trouve à l’intersection entre celui sur le racisme et celui sur le capitalisme. Deux systèmes d’exploitation qui reposent sur la domination, et qui – aux États-Unis comme ailleurs – sont plus liés qu’il n’y paraît. Il y a un culot enthousiasmant dans la façon qu’à la film de faire un parallèle – gonflé, évident, articulé – entre l’exploitation capitaliste contemporaine (exploitation des classes modestes souvent racisées par les classes dirigeantes souvent blanches) et le système historique de l’esclavage. Il y a un culot et un talent encore plus grand à faire passer ce message sous la forme d’une comédie.
Ces deux systèmes visent à la déshumanisation, et c’est cette idée que Boots Riley pousse à l’extrême. Dans le monde contemporain de l’entreprise, qu’est ce qui pourrait ressembler le plus à l’enfer ? Réponse : un centre d’appel. C’est dans ce décor – symbole d’une société financière devenue folle – que Cassius va tenter de survivre, de trouver sa place et sa voix (autre gag hilarant qui devient finalement angoissant) sans perdre son identité. Sorry to Bother You est un appel sauvage et généreux à reprendre le contrôle de nos vies, à retrouver nos voix à nous.
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par Gregory Coutaut