A voir en ligne | Critique : Saudade

Kôfu, dans la préfecture de Yamanashi, Seiji travaille sur des chantiers. Il sympathise avec Hosaka tout juste revenu de Thaïlande. Ensemble, ils passent leurs soirées dans les bars en compagnie de jeunes Thaïlandaises. Sur un chantier, ils rencontrent Takeru, membre du collectif hip-hop de la ville, Army Village.

Saudade
Japon, 2011
De Katsuya Tomita

Durée : 2h47

Sortie : 31/10/2012

Note :

RAGE AGAINST THE MACHINE

Katsuya Tomita n’a pas eu les moyens confortables des fils ou filles-de pour réaliser Saudade. Au moment du tournage, Tomita gagnait sa vie comme chauffeur routier, bossant sur un chantier, et a réalisé Saudade le weekend ou pendant ses congés. Une situation qui rappelle celle d’autres nouveaux cinéastes japonais, comme Kaori Imaizumi, infirmière de son état, qui a tourné Just Pretended to Hear pendant… son congé maternité. Saudade n’a pas comme seule qualité, et heureusement, d’être un tour-de-force. C’est un film-monde, un film hors normes, un film qui ne ressemble à peu près à rien de ce que vous pourrez voir au cinéma, qui ne ressemble à rien de ce qu’on peut voir du cinéma japonais contemporain.

Une bonne partie des qualités de Saudade semblent venir de ses contraintes. Autoproduit ? Oui, et à l’arrivée, un film totalement libre. Shooté envers et contre tout ? Ce sentiment de révolte qui habite Saudade donne son nerf au film, qui bombe le torse, qui crache son flow comme ses héros rappeurs. Tournage-fleuve étalé durant an, le dimanche et jours fériés ? Oui, mais plutôt que d’alourdir le film, de le rendre bancal, ce tempo lent a permis à Tomita d’ajouter une quarantaine de scènes non prévues initialement. Il en résulte un film qui déborde de vie, qui capte ce qui se passe, dont la véracité semble ici improvisée, qui aligne parfois anecdotes, scènes curieuses, refusant toute idée de narration formatée, traditionnelle, cadenassée. Un long fleuve et pas vraiment moyen de savoir ce qui arrivera la scène d’après.

Saudade est également l’œuvre d’un vrai cinéaste. Tomita sait quoi faire de son cadre et son ambition formelle dépasse sans mal le niveau télévisuel de bien des productions japonaises plus fortunées. Son usage des couleurs, entre image cramée qui rappellerait presque Kaurismaki et ses clairs-obscurs transpercés de gerbes fluo, est saisissant. Une façon de jouer entre le naturalisme doc et un flamboyant morceau de cinéma. Saudade donne à voir un Japon d’invisibles. Couche populaire aux illusions brisées par la crise, immigrés brésiliens ou thaïlandais. On y fait du hip-hop, on esquisse des mouvements de capoeira. Un art martial en même temps qu’une danse. Quelle réponse à ce spleen, à la lose quotidienne, à l’humiliation ? Une insoumission, un relent xénophobe, un rêve de pacotille, une fuite en avant – ou un échec. Le voyage de Saudade est long (2h45), creuse loin en ses personnages et laisse une trace profonde.


>> Saudade est disponible en vod au Club Shellac

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par Nicolas Bardot

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