A voir en ligne | Critique : Saint Maud

Maud, infirmière à domicile, s’installe chez Amanda, une célèbre danseuse fragilisée par la maladie qui la maintient cloîtrée dans son immense maison. Amanda est d’abord intriguée par cette étrange jeune femme très croyante, qui la distrait. Maud, elle, est fascinée par sa patiente. Mais les apparences sont trompeuses. Maud, tourmentée par un terrible secret et par les messages qu’elle pense recevoir directement de Dieu, se persuade qu’elle doit accomplir une mission : sauver l’âme d’Amanda.

Saint Maud
Royaume-Uni, 2019
De Rose Glass

Durée : 1h23

Sortie : 31/10/2024 (sur Mubi)

Note :

GRÂCE A DIEU

La question se pose dès les premiers plans ambigus : Maud est-elle une infirmière ou une psychopathe ? L’instant d’après, lorsque la Britannique Rose Glass (lire notre entretien) filme de la sauce tomate qui pourrait bien être du sang en ébullition, le film fait preuve de malice – et la cinéaste sait jouer avec les tons et les perceptions. On ne dévoilera rien des mystères de Saint Maud, mais on peut dire que le film est assez habile avec le faux semblant.

Saint Maud se déroule dans un « faux » Coney Island. L’histoire, initialement écrite pour se dérouler dans les années 60, a lieu aujourd’hui, mais on peine à croire à ce « faux » contemporain. Maud est employée dans une sombre demeure comme garde-malade d’une mourante, à moins qu’il ne s’agisse du manoir hanté par une fausse Norma Desmond. Glass cite les anciens thrillers psychologiques de Polanski comme modèles de tension fantastique ménageant réalité et hallucinations (comme Rosemary’s Baby et Répulsion) ce qui ici se ressent.

D’où nait le fantastique dans Saint Maud ? Au plus profond de son héroïne, atteinte de crise mystique et dialoguant avec Dieu. « On ne voit que ce qu’on a envie de voir » dit-on dans le long métrage ; cela s’applique à l’héroïne, à ses interlocuteurs comme au genre fantastique en général. Glass exploite à merveille cette hésitation, sur le réel et le fantasme, sur la foi et l’espoir, sur la dévotion et le jeu. Amanda, la femme malade dont Maud s’occupe, était une chorégraphe et a écrit un ouvrage intitulé The Body is a Stage (le corps est une scène – mais cela pourrait signifier aussi le corps est une étape). Maud en tant que très pieuse infirmière s’imagine sauveuse et performe ce rôle comme sur une scène. Son corps, dans cette optique divine, n’est effectivement qu’une étape. Glass explore avec complexité les facettes de ses héroïnes, et en premier lieu celle incarnée par l’épatante Morfydd Clark, qui n’est jamais entièrement ceci, ni entièrement cela. Et qui semble en tout cas toujours au bord du basculement.

Le film en ce sens est extrêmement généreux. La lumière est poisseuse, l’atmosphère lugubre, le rythme assez lent, mais il donne en permanence. C’est un film très retenu et très spectaculaire, parfaitement sérieux et pourtant drôle ; combien de cinéastes débutants font preuve d’autant de dextérité d’écriture ? Saint Maud est un film, on l’a dit, qui parle de la perception du monde par son héroïne, mais qui invite également le spectateur à se questionner sur ce qu’il voit. Qui possède qui dans cette maison ? Qui a besoin d’être sauvée ? « Plus rien ne semble réel », cette réplique résonne lors des décrochages de Saint Maud où l’on perd délicieusement pied.

Lors d’une scène de Saint Maud, la jeune infirmière se place devant sa croix pour prier. Le cadre, la couleur, sa tenue : tout rappelle une image identique dans Paradis : foi de l’Autrichien Ulrich Seidl. C’est là un autre film qui parle de protagonistes cherchant le bonheur au mauvais endroit. C’est là aussi un film qui laisse ouvertes toutes les ambigüités sur des personnages pas facilement aimables. La progression de Saint Maud est diabolique, mais ses trous d’air viennent faire vaciller nos certitudes comme celles de personnages à l’écran. La musique, dont un thème en particulier rappelle celle de Mica Levi pour Under the Skin, souligne cet étrange goutte-à-goutte jusqu’au débordement. L’apothéose finale est impressionnante, précédée un peu plus tôt d’un plan (avec l’héroïne transie devant la maison) qui semble déjà immortel. Auréolé d’un buzz en or, Saint Maud est en effet un trésor.

>> Saint Maud est disponible sur Mubi

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par Nicolas Bardot

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