Festival de Karlovy Vary | Critique : Rumours

Les dirigeants des sept nations composant le G7 se réunissent pour leur sommet annuel mais se perdent dans les bois et doivent, malgré tout, rédiger une déclaration sur une crise mondiale.

Rumours
Canada, 2024
De Guy Maddin, Evan Johnson et Galen Johnson

Durée : 1h58

Sortie : –

Note :

NOUVEL ORDRE

Enfin un nouveau long métrage de Guy Maddin. L’attente fut longue depuis The Green Fog, son étrange remake conceptuel de Sueurs froides, composé uniquement d’images d’archives. Ces sept dernières années ont été parsemées de quelques courts métrages réalisés avec ses deux nouveaux acolytes, Galen Johnson et Evan Johnson. Si seul ce dernier est crédité à l’écriture du scénario et des dialogues, c’est bien tous les trois qu’ils ont imaginé et mis en scène cette inclassable farce. Retrouve-t-on Maddin tel qu’on l’avait quitté à l’époque ? Eh bien pas du tout, du moins est-ce l’impression que donnent les premières scènes de Rumours, qui tranchent avec les habituels fantasmagories oniriques en noir et blanc du cinéaste canadien.

L’image est ici nette, colorée et (un comble!) paraît presque réaliste. Cet effet de réel inattendu est renforcé par les clins d’œil du scénario avec l’actualité politique. Les protagonistes de Rumours sont en effet les chefs d’états des plus grandes puissances économiques occidentales, réunis dans un jardin cossu afin d’écrire un discours en commun qui redonnera espoir aux citoyens du monde entier. Denis Menochet joue un président français qui ne ressemble certes pas du tout à Macron, mais Charles Dance incarne un président américain qui évoque régulièrement Joe Biden, tandis que dans le rôle de la chancelière allemande, Cate Blanchett porte les mêmes tailleurs et coupes de cheveux qu’Angela Merkel. Maddin n’a pas abandonné le désir d’explorer l’inconscient de ses personnages, mais au lieu de prendre la forme d’une expérience esthétique, cela se traduit ici plutôt par une succession de gags mettant à mal la dignité de nos dirigeants.

Maddin et ses compères ont-il vu Fairytale de Sokourov? Revenant lui aussi d’une longue absence, le maître russe y rassemblait de célèbres dictateurs dans un mélange d’effets spéciaux pouvant évoquer les sketchs de Karl Zéro. Rumours est bien plus divertissant que Fairytale. C’est même sans doute le film le plus accessible de Maddin, mais en mélangeant à son tour cinéma d’auteur conceptuel et caricature politique bouffonne digne d’un programme télé, le cinéaste risque bien de diviser ses admirateurs habituels. Le trait est délibérément grossi à outrance, les acteurs cabotinent sans trop en faire et Cate/Angela s’offusque d’un rien avec les mimiques de Criquette Rockwell. C’est sans doute davantage du côté des rébus énigmatiques de Dupieux qu’il faudrait aller chercher une éventuelle comparaison. Maddin possède en effet en commun avec le cinéaste français l’art de naviguer habilement du rire à l’horreur.

Rumours change en effet de peau et l’imagination débridée du cinéaste revient progressivement au premier plan. A mesure que le jour décroît autour de ces protagonistes coupés du monde, les bois qui les entourent deviennent de plus en plus fantasmagorique. A coup d’épais brouillard et de lumières magiques sorties d’une tout autre époque de l’histoire du cinéma, cette forêt se transforme en un puissant spectacle son et lumière d’où peuvent surgir les visions apocalyptique les plus folles comme les plus débiles. Tantôt potache tantôt hallucinée, cette promenade dans l’inconscient de nos élus est parfois épuisante, menaçant de tourner en rond comme ses personnages (notamment celui d’Alicia Vikander), mais elle sait demeurer imprévisible jusqu’au bout. Comédie sympathique et imparfaite, Rumours a quand même pour mérite d’apporter un grand coup de neuf à la filmographie d’un des cinéastes les plus singuliers en activité, ce n’est pas rien.

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par Gregory Coutaut

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