Critique : Rien à foutre

Cassandre, 26 ans, est hôtesse de l’air dans une compagnie low-cost. Vivant au jour le jour, elle enchaîne les vols et les fêtes sans lendemain, fidèle à son pseudo Tinder «Carpe Diem». Une existence sans attaches, en forme de fuite en avant, qui la comble en apparence. Alors que la pression de sa compagnie redouble, Cassandre finit par perdre pied. Saura-t-elle affronter les douleurs enfouies et revenir vers ceux qu’elle a laissés au sol ?

Rien à foutre
France, 2021
De Emmanuel Marre & Julie Lecoustre

Durée : 1h52

Sortie : 02/03/2022

Note :

LOW COST

Cassandre, largement pompette lors d’un retour de soirée, est tout à coup beaucoup plus sérieuse lorsqu’elle se demande si, dans la vie, il vaut mieux dégringoler ou se prendre un mur. En une scène, Rien à foutre passe du total potache au malaise existentiel – et il y a ici pas mal d’habileté à l’écriture comme à l’interprétation pour varier les registres avec fluidité. Rien à foutre pourrait, comme le suggère son titre, être la comédie yolo d’une hôtesse de l’air au bout du rouleau, mais le film de Julie Lecoustre et d’Emmanuel Marre est finalement plus ambigu que cela.

Dans le moyen métrage D’un château l’autre, précédente collaboration de Lecoustre et Marre qu’ils ont co-scénarisée, un jeune protagoniste avait déjà du mal à se projeter dans l’avenir et était tenté, lors des élections présidentielles, à voter pour le pire. C’est un gouffre aussi qui semble se présenter devant l’héroïne de Rien à foutre, elle qui tombe des nues lorsqu’une grève s’organise, qui est envoyée par avion ici ou là mais jamais chez elle. Le ton pour raconter cette jeune femme sans horizon est à la fois mélancolique à l’image d’un des modèles cités par les cinéastes (L’Ouvreuse d’Edward Hopper) mais aussi anxiogène.

Les décors comme les couleurs n’invitent pas à se poser de questions dans Rien à foutre : tout sent les vacances, le soleil et la légèreté. Mais Lecoustre et Marre dépeignent de manière convaincante l’absurdité du monde du travail, l’épanouissement impossible dans un environnement aliénant – c’est le monde entier qui est devenu low cost dans le long métrage. Comment apprendre à devenir un robot, au travail comme dans la vie ? Et surtout comment désapprendre à être un robot dans un système où l’on attend de Cassandre que celle-ci obéisse aux règles, rentre dans des cases et montre ses plus belles dents sans broncher ?

Le film, à nos yeux, perd de son relief et de son tempo sur ses presque deux heures. Mais son amertume est poignante, incarnée à merveille par Adèle Exarchopoulos. Légère et grave, juvénile et épuisée, celle-ci offre de riches facettes à son héroïne et la plus belle scène du film (une conversation improbable avec une opératrice téléphonique) doit beaucoup à sa magie.

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par Nicolas Bardot

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