Critique : Rêver sous le capitalisme

Douze personnes racontent puis interprètent le souvenir d’un rêve de travail. Ces âmes que l’on malmène décrivent, de façon poétique et politique, leur souffrance subjective au travail. Petit à petit, les rêveurs et leurs rêves font le portrait d’un monde dominé par le capitalisme néolibéral.

Rêver sous le capitalisme
France, 2018
De Sophie Bruneau

Durée : 1h03

Sortie : 12/12/2018

Note : 

ATTENTION DANGER TRAVAIL

Il y a une dizaine d’années, la réalisatrice française Sophie Bruneau interrogeait le mal au travail dans son documentaire Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. Primé au Cinéma du Réel, Rêver sous le capitalisme (un titre qui sonne déjà comme un paradoxe) poursuit ce questionnement. Mais Bruneau aborde le réel dans ce qu’il peut avoir à la fois de plus banal et violent par un prisme original. Rêver sous le capitalisme est en effet constitué des récits d’une dizaine de rêveurs, confiant leurs angoisses qui les poursuivent la nuit. Et comment le système capitaliste parvient à faire intrusion dans leurs rêves…

Les images de Rêver sous le capitalisme sont des plans de nuit. Ce ne sont pas les rêves (ou plutôt des mauvais rêves) qui sont illustrés. On entend les voix, on voit parfois les visages, mais ce qui apparaît à l’écran, ce sont des bureaux, des immeubles, des constructions – des lieux de travail endormis où l’esprit des travailleurs flotte encore. Il y a une banalité et un mystère que la réalisatrice saisit ici, avec ces plans d’une architecture froide comme la mort, avec cette femme de ménage seule dans un bureau vide, ou avec cette inquiétante lampe torche qui s’agite dans le noir.

Bruneau, comme on l’a dit, ne filme pas les rêves. Elle ne filme pas le travail non plus. Et pourtant, le film raconte à la fois tout l’un et tout l’autre. Ce sont des récits oniriques qui appartiennent à ceux qui les ont faits. On les écoute religieusement, dans une concentration dépouillée – ces récits qui vont d’histoires de zombies en simple fenêtre murée. Le travail est tout le temps là car il est au cœur des angoisses, de la peur qui fige et glace les différents intervenants. A l’occasion de Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Sophie Bruneau commentait : « Il faut se demander quelle est la peste aujourd’hui. Et je pense que la réponse peut être le travail. Et notamment cette guerre économique qu’on nous donne pour une guerre sainte et dont le nerf est la compétitivité« . Des propos qui restent d’une terrible acuité aujourd’hui dans ce film crépusculaire, ce cauchemar lugubre qu’est la réalité du monde du travail.

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par Nicolas Bardot

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