Trois parents d’adolescents américains auteurs de fusillades scolaires s’expriment dans un film qui met des mots sur un traumatisme inimaginable.
Parents de tueurs
Danemark, 2021
De Frida Barkfors & Lasse Barkfors
Durée : 1h14 (57′ pour la version Arte)
Sortie : –
Note :
PASSÉ SOUS SILENCE
Dans Parents de tueurs, des décors idylliques reviennent plusieurs fois à l’image : un beau ciel de fin de journée, une ville paisible nichée au creux de la montagne, un verger coloré. Le documentaire réalisé par Frida et Lasse Barkfors, troisième volet de leur trilogie américaine entamée par Pervert Park et Death of a Child, part à la rencontre de trois protagonistes qui ont été chassés de ce paradis de carte postale. Les Barkfors s’entretiennent avec des parents d’adolescents ayant commis des tueries dans des établissements scolaires américains. Trois cas comme une goutte d’eau dans un océan de violence : depuis 1970, on compte 1677 fusillades dans des écoles outre-Atlantique.
Parents de tueurs raconte d’abord ce que l’on peut attendre : l’hébétude, l’incompréhension, l’amertume, le désarroi des parents. Le sentiment d’avoir élevé un inconnu. Il aborde aussi une expérience plus complexe : une mère, rapidement informée que son fils est le responsable d’une fusillade, confie avoir espéré que celui-ci ne s’en sorte pas. C’est un choc tellement grand qu’il n’existe pas de manière unique et idéale de le gérer. Parents de tueurs dépeint les réactions très différentes face à la perte. Et si la relation intime installée par la caméra avec les parents permet d’entendre leur incessante remise en question et leur autocritique, le documentaire s’intéresse aussi beaucoup au monde qui les entoure.
Les trois parents filmés par les cinéastes ont survécu et semblent vivre comme n’importe qui : ils sont filmés en faisant leur vaisselle, en rangeant leurs courses, en astiquant des bibelots. Mais comment se reconstruire en tant que personne et en tant que communauté ? Comment la société traite-t-elle ces parents, qu’il s’agisse des voisins, des autorités ou de la famille des victimes ? Si Parents de tueurs se penche douloureusement sur un passé traumatique, il questionne aussi la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui, et comment l’utilisation du tueur comme bouc émissaire permet de ne jamais s’interroger sur le harcèlement et la violence scolaire.
Frida et Lasse Barkfors relatent avec épure des histoires qui, de toute évidence, n’ont guère besoin de dramatisation supplémentaire. Le film pousse comme on l’a dit des portes et ouvre une réflexion. Il examine le réflexe de la déshumanisation (des tueurs mais aussi de leurs parents) qui constitue une impasse. Les parents continuent à vivre dans la sidération et l’incapacité à comprendre. Mais ils peuvent aussi renouer avec les familles de victimes, voire trouver l’amour. Et si le film rappelle de manière glaçante la double peine dont les parents sont victimes (au deuil s’ajoute l’exclusion de la société), Parents de tueurs raconte aussi la possibilité d’une écoute, d’une connexion et d’une chaleur humaine.
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par Nicolas Bardot