Une adolescente suicidaire noue une étonnante relation avec l’étudiant chinois chargé de veiller sur elle à l’hôpital.
Queens of the Qing Dynasty
Canada, 2022
De Ashley McKenzie
Durée : 2h02
Sortie : 15/11/2023 (sur Mubi)
Note :
HUMAINS APRÈS TOUT
C’était en 2017 (et déjà à la Berlinale) que la réalisatrice canadienne Ashley McKenzie s’était fait connaître avec son premier film, Werewolf. Avec une économie de dialogues et d’effets, elle y observait comme en cachette le mystérieux quotidien de deux personnes vivant dans la forêt. Le cadre géographique de Queens of the Qing Dynasty est nettement plus restreint puisque l’action de ce nouveau film se déroule dans un hôpital où les lumières jaunes ont remplacé le ciel et l’air pur. La cadre lui-même est davantage resserré. Son format carré vient isoler et découper les personnages, d’abord réduits à des mains ou des voix avant de venir s’afficher pleinement à l’écran.
Star est allongée dans un lit d’hôpital. L’adolescente n’a pas l’air en danger ou en mauvaise santé, elle répond aux questions qu’on lui pose. Cela ressemble à une banale visite de routine mais même dans cette pièce sans surprise, elle a déjà l’air de planer sur une autre planète. Ce que l’on prend d’abord pour un effet secondaire des produits anesthésiants se révèle être un état d’être permanent pour la jeune fille neurodivergente. Sa manière décalée d’analyser et de verbaliser son propre ressenti en fait un personnage fascinant, presque extraterrestre, au visage très expressif et pourtant impénétrable. On le comprend à demi-mots et par des voix détournées : Star vit seule et a essayé de se suicider. Son désir de communiquer et tel que lorsqu’elle rencontre pour la première fois An, l’apprenti infirmier d’origine chinoise qui doit veiller sur elle, sa première question est « aimes-tu entendre des pensées sincères ? « .
Avec un tel point de départ, Queens of the Qing Dynasty pourrait suivre les tristes chemins, particulièrement rebattus, de la rencontre chaleureuse entre deux solitaires que tout oppose. Or Ashley McKenzie a concocté un film bien plus bizarre que cela. Ici, se sont les sons, les images et la musique qui racontent, davantage que le récit. La mise en scène de McKenzie est pleine de décalages et de petites trouvailles, de morceaux électro minimalistes qui samplent des appareils hospitaliers. L’impression qui s’en dégage est que le film semble parfois avoir été fait par un programme d’intelligence artificielle (Star dit d’ailleurs en plaisantant qu’elle a une date de péremption, comme un robot à l’assemblage). Comme si le film était tel un hôpital : un laboratoire où les émotions humaines ne sont pas supposées avoir beaucoup de place pour s’exprimer.
Or, à l’image de Star et An, Queens of the Qing Dynasty s’exprime à sa manière et crée avec nous un lien unique. Paradoxalement, le film ne réussit pas vraiment son passage à l’extérieur de l’hôpital, dans une deuxième partie qui traine en longueur. C’est quand elle respecte les contraintes que McKenzie réussit le mieux son expérience. Étonnamment, c’est en abordant ses personnages sous des angles inattendus (comme cette scène incroyable où la caméra descend dans un œsophage!) que la cinéaste révèle ce qu’ils ont de plus poignant et humain, après tout. Le film aurait sans doute gagner à être un peu plus court, mais il a de la personnalité et des idées à revendre.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |
par Gregory Coutaut