Festival de la Roche-sur-Yon | Critique : Profile

Une journaliste freelance crée un profil Facebook pour enquêter sur les méthodes de recrutement de l’État Islamique.

 

Profile
États-Unis, 2018
De Timur Bekmambetov

Durée : 1h45

Sortie : –

Note : 

LA MORT EN LIGNE

Pour être honnête, on n’attendait vraiment pas grand chose de Timur Bekmambetov, cinéaste russe perdu depuis plusieurs années dans des productions hollywoodiennes anonymes, de Abraham Lincoln : Chasseur de vampires au remake de Ben-Hur. Mais que son dernier film fasse sa première mondiale à la Berlinale (pas le moins politique des festivals), et qu’il y remporte un prix du public, voilà qui avait de quoi attiser la curiosité.

Al’origine de Profile, il y a un ouvrage anonyme de 2015 : Dans la peau d’une jihadiste. Une journaliste y racontait comment, en se faisant passer pour une jeune convertie prête à partir en Syrie, elle avait enquêté de très près sur les réseaux de recrutements de l’état islamique. Son travail s’était fait intégralement en ligne, le film de Bekmambetov suit le même principe : Profile est uniquement composé de captures d’écran, de vidéos en ligne, de conversations Skype, etc. Rien d’autre qu’un écran d’ordinateur pendant 1h45.

Contrainte passionnante, ce procédé de mise en scène n’est pas unique (Searching ou Unfriended viennent en mémoire) mais reste relativement rare pour que sa puissance d’évocation reste intacte. Le ludisme de voir cette myriade de fenêtres s’ouvrant les unes sur les autres (on dirait presque du Peter Greenaway période Tulse Luper) fait mouche, que l’on regarde Profile sur un écran d’ordinateur (de façon méta) ou sur un très grand écran de cinéma – quelle sensation étrange de voir en géant ces applications et icônes normalement réduites à l’intimité du creux de nos mains.

Mais Profile n’est pas un objet conceptuel. C’est avant tout un thriller au suspens remarquablement efficace, dans lequel on plonge avec plaisir. Bekmambetov a travaillé ici avec deux autres scénaristes, l’une venant du cinéma d’horreur, l’autre de la comédie. Un mélange étonnant qui explique peut-être en partie l’efficacité du film. Car paradoxalement, Profile est très vivant, riche de variations de registres inattendues, de la bouffonnerie à la panique. Le récit paraît artificiel? Aussi romanesque qu’elle soit, l’histoire de cette journaliste déguisée en ado, qui se perd dans un jeu de séduction en ligne avec un terroriste, est pourtant vraie.

L’aspect divertissant de Profile sur un sujet aussi grave pourrait passer pour du mauvais goût. Mais contrairement à ce que fait le recruteur du film, Bekmambetov ne cherche pas à nous leurrer avec des gimmicks faciles (gif ou émojis ridicules, vidéos violente à la mise en scène hollywoodienne). Même si sa démarche manque parfois de subtilité, ce qu’il fait en les reproduisant ainsi, c’est démontrer la stérilité et la violence de ce langage en ligne, qui n’a que les apparences du dialogue. La leçon est donnée au détour d’une scène d’apparence drôle mais assez inquiétante (à l’image de tout le film) : derrière chaque chat rigolo en ligne, se cache peut-être un prédateur.

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par Gregory Coutaut

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