Festival de La Roche-sur-Yon | Critique : Problemista

Alejandro a quitté le Salvador pour New York avec le rêve absurde de devenir créateur de jouets. Sa seule chance de ne pas être illico rapatrié consiste à s’associer avec Elizabeth, une artiste excentrique.

Problemista
États-Unis, 2023
De Julio Torres

Durée : 1h46

Sortie : –

Note :

LES CLEFS DES PROBLÈMES

Sans aucun doute, Problemista est un conte de fées : cette douce voix-off (assurée par Isabella Rossellini) et le décor merveilleux des premiers instants du film ne trompent pas. Mais dans Problemista, on déchante assez vite : le film est à mille lieues des contes d’immigration dépeints comme de sirupeuses success stories américaines. Alejandro (incarné par le réalisateur Julio Torres, très convaincant dans ce rôle de post-ado alors qu’il a bientôt 40 ans dans la vie) est un jeune homme originaire de Salvador, prêt à conquérir New-York où il rêve de devenir concepteur de jouets. Il y a des années, Working Girl, autre conte new-yorkais, s’ouvrait par un plan panoramique sur la Statue de la liberté, avec un ton emphatique pour chanter les succès futurs de la modeste secrétaire incarnée par Melanie Griffith. Problemista se situe à l’opposé : la première vision que l’on a de New-York est celui d’un dessin de la ville abandonné parmi des sacs poubelles.

Venu du stand-up, Julio Torres, qui signe ici son premier long métrage, injecte son humour absurde et lunaire dans cette version déglinguée du Diable s’habille en Prada version art contemporain. Note assez rare pour être mentionnée : Problemista parvient à être une comédie ayant pour cadre l’art contemporain sans en faire un gag de boomer et sans le réduire à des clichés. Du cliché, on s’en approche néanmoins avec le personnage d’Elizabeth, une critique d’art incarnée par Tilda Swinton et qui devient plus ou moins la boss d’Alejandro. A travers une interprétation sur 100.000 volts, la géniale actrice transcende les stéréotypes avec cette sorcière de cartoon : imaginez la Faye Dunaway de Mommie Dearest interpréter Cruella d’Enfer lookée comme une méchante de Jem et les Hologrammes. Autant dire que le résultat est délicieux.

Sur un schéma classique (des personnages qui, en apparence, n’ont rien en commun, ont finalement quelque chose à partager), Julio Torres signe un film visuellement dynamique, inventif et généreux, au réjouissant ton fantasque. Sa photographie a été signée par le Suédois Fredrik Wenzel, chef opérateur de Ruben Östlund depuis Snow Therapy. La comédie angoissée emprunte des dédales absurdes à la Spike Jonze – aux enfers administratifs s’ajoutent ceux que s’imposent des protagonistes accros aux problèmes (d’où le titre du long métrage). Chacun crée son propre enfer en se fixant des objectifs obstinés, d’une réussite professionnelle dans une ville ultra-compétitive à, tout simplement, devenir immortel. Voilà qui constitue le moteur efficace d’une comédie sur de lamentables échecs et sur de minces espoirs de succès.

Et quelle est la clef de ce succès ? Il faudra voir Problemista pour le savoir mais le long métrage de Julio Torres poursuit le geste entamé par quelques films récents sur les représentations queer, sur les représentations queer « positives » et sur le besoin d’avoir de « mauvais » personnages queer. Alejandro est l’archétype du gay à qui l’on a toujours enseigné d’être effacé, discret, gentil, poli : cela se perçoit même à sa façon de se mouvoir. Le dragon-pygmalion incarné par Swinton, qui est initialement le modèle à ne pas suivre, n’ouvrirait-il pas la voie pour le jeune homme ? Est-ce qu’un monde horrible ne mérite-t-il pas qu’on s’y comporte horriblement ; faut-il, pour s’imposer, devenir le problème des autres ? Ce qui pourrait constituer une mauvaise morale devient, en un malicieux paradoxe, une affirmation queer particulièrement galvanisante.

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par Nicolas Bardot

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