Mostra de Venise | Critique : One of Those Days When Hemme Dies

Poussé par le besoin urgent de régler une dette, Eyüp travaille sans relâche à la récolte de tomates sous un soleil de plomb. Suite à un affrontement avec son superviseur, il parcourt la ville à la recherche d’une solution radicale.

One of Those Days When Hemme Dies
Turquie, 2024
De Murat Fıratoğlu

Durée : 1h24

Sortie : –

Note :

UNE MORT ANNONCÉE

Dans un coin de campagne désertique écrasé par un soleil bouillant, des tomates sèchent à perte de vue. Cet immense tapis rouge sous le ciel bleu est traversé par une poignée d’hommes qui ne sont pas à la promenade. Il faut saupoudrer ces tomates de gros sel, les mettre dans des cageots, charger les camions et rebelote sans perdre de temps s’il vous plait. Le cadre a beau être d’une grande beauté plastique, les premières scènes du film se focalisent sur l’effort physique nécessaire pour effectuer ces tâches manuelles. Ces dernières se font en silence, mais pas sans tension. En quelques plans qui n’ont l’air de rien, on sent déjà que quelque chose gronde. Eyüp a besoin d’argent en urgence pour régler une dette, mais Hemme refuse de le payer en avance. Quelque chose est sur le point d’exploser, mais quoi exactement ?

One of Those Days When Hemme Dies est le premier film du Turc Murat Fıratoğlu. Il en est le réalisateur, le scénariste, le producteur mais aussi l’interprète principal. Le film vient de faire sa première mondiale à la Mostra de Venise et le jury de la section Orizzonti ne s’est pas trompé en lui accordant un prix spécial, tant l’œuvre fait preuve de personnalité. Lorsqu’on croit deviner vers quels rouages du cinéma social se dirige cet affrontement entre employé et patron, le scénario prend une tangente surprenante en isolant soudain l’un des protagonistes dans un tout autre décor. Eyüp chevauche sa moto pour se rendre au village, mais les rues colorées de ce dernier s’avèrent être entièrement désertes. Laissé à lui-même, filmé d’assez loin, Eyüp se met à parcourir ce labyrinthe à la recherche d’on ne sait quoi. Les rares dialogues qui meublaient le film disparaissent presque pour de bon. En changeant de décor, on a quasiment changé de film.

Or, lorsqu’on croit avoir identifié ce nouveau terrain cinématographique radical et minimaliste, One of Those Days… évolue encore, laissant la porte soudain ouverte à une chaleur humaine inattendue. Le titre du film peut évoquer Beckett avec sa manière de retarder jusqu’à l’absurde un événement annoncé, mais Fıratoğlu sait, d’une part, se montrer d’une générosité invitante (chaque scène est portée par le sens notable du décor et de la couleur), et d’autre part rendre vivante et accessible sa parabole philosophique sur le libre arbitre. En quittant le monde du travail, Eyüp finit par trouver autrement sa place à occuper dans le monde. De même, en imposant ses propres détours, Fıratoğlu parvient à bâtir un film accessible et singulier à la fois, social, plastique et méditatif dans le même geste.

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par Gregory Coutaut

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