Nos défaites dresse un portrait de nos rapports à la politique par un jeu de réinterprétation par des lycéens, d’extraits issus du cinéma post-68, associé à des interviews de ces jeunes acteurs. Comment appréhendent-ils le monde dans lequel ils grandissent et surtout, auraient-ils envie de le changer, de le détruire ou d’en construire un nouveau ?
Nos défaites
France, 2019
De Jean-Gabriel Périot
Durée : 1h27
Sortie : 09/10/2019
Note :
THE WE AND THE I
Il y a un paradoxe derrière le beau titre du nouveau documentaire de Jean-Gabriel Périot. Nos défaites, c’est à la fois le constat d’un échec (en l’occurrence, celui de la transmission de la pensée révolutionnaire pleine d’espoir de mai 68), mais aussi celui d’une cohésion toujours présente. Le « nous » du titre, ce sont d’abord ces lycéens de première que Périot est allé filmer à Ivry-sur-Seine, mais c’est aussi bien davantage. A qui revient la responsabilité de ces « défaites »? A qui la faute? Peut-être aux absents du film : les adultes, c’est à dire nous aussi.
Quel écho chez ces lycéens d’aujourd’hui pour les films de Godard, Tanner ou Marker? Le décalage est gigantesque entre les mots et idées d’alors et la manière dont ces adolescents articulent leur pensée. Périot alterne les moments où filles et garçons rejouent des scènes de films engagés de l’époque avec des interviews face caméra où chacun donne son point de vue sur ce qu’il vient de jouer. C’est parfois presque une source de gag, tant certaines questions ressemblent à un piège d’oral du bac : « C’est quoi pour toi le Léninisme, ou le prolétariat? A quoi sert le travail? ». Les élèves se retrouvent alors embarrassés par leur propres approximations.
Mais ce décalage est aussi émouvant. Comme dans ses précédents films (Une jeunesse allemande, Lumières d’été), Périot interroge le poids de l’image d’archive dans la pensée contemporaine. L’intention d’origine était-elle que ces élèves aient une épiphanie face à des œuvres pourtant si éloignées d’eux? Ce que le dispositif de Périot met en lumière, c’est au contraire un poignant blocage. Les scènes de films reviennent en boucle, avec des variantes, comme pour montrer qu’on ne s’en sort pas. Il y a une frustration à voir les élèves ne pas saisir les enjeux de ce qu’ils jouent, et continuer à n’avoir qu’une vision superficielle et égoïste de la politique. Si Périot ne filmait que les interviews, il placerait la responsabilité de cet échec du coté de ces jeunes. Or, en se basant sur un bout de l’histoire du cinéma, il donne à envisager une autre origine pour cette défaite.
Amer, Nos défaites est à l’opposé de ces documentaires gentillets sur l’école qui sortent régulièrement. Le film serait carrément pessimiste si, une fois un premier montage terminé, Périot n’avait décidé de retrouver ces élèves pour tourner une toute dernière séquence. Il a demandé aux même élèves de rejouer une nouvelle scène, celle-ci fort réelle et particulièrement violente : celle des lycéens de Mantes-la-Jolie, agenouillés et bras croisés derrière la tête sous surveillance de la police. La proximité de l’affaire et de ses enjeux crée alors un déclic chez les jeunes acteurs. Leur indignation et leur colère se libèrent, leur pensée s’articule soudain différemment, l’engagement et le rêve de liberté éclosent enfin. Il aura fallu cet électrochoc pour qu’il prennent enfin conscience des « défaites » (de l’état, de leur pensée, de l’éducation politique), mais aussi du « nous ». Un passage à l’age adulte, et un passage du cinéma à la réalité.
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par Gregory Coutaut