New Directors/New Films 2020 | Critique : Nasir

Nasir est un homme simple qui mène une vie compliquée. Il doit se démener pour survivre au quotidien, parfois même en manquant des repas. Son fils adoptif Iqbal a le corps d’un adulte, mais l’esprit et la vulnérabilité d’un tout-petit. Nasir est également musulman dans l’État du Tamil Nadu, dans le sud de l’Inde, où le nationalisme hindou a pris une forme de plus en plus virulente au cours des dernières décennies. Malgré tout, Nasir reste optimiste. Il écrit des lettres d’amour à sa femme et déclame sa poésie, qui fait taire même les voix les plus bruyantes et idiotes…

Nasir
Inde, 2020
De Arun Karthick

Durée : 1h25

Sortie : –

Note :

SANS ISSUE

Nasir s’ouvre sur une ville endormie et une prière qui résonne par-dessus les toits dans des hauts-parleurs. On ignore encore si l’on est à l’aube ou au crépuscule, si cette prière est une berceuse ou un réveil, s’il faut donc se sentir rassuré ou menacé par cette voix de géant. L’incertitude demeure (Nasir n’est pas le genre de film à fournir clé en main sa propre explication de texte – tant mieux) et pourtant c’est comme si un compte à rebours venait de débuter. Un compte à rebours à la fois placide et entêtant.

Cette sirène est l’un des rituels qui scandent les journées de Nasir et de son voisinage. Dans les ruelles exiguës et le discret capharnaüm des boutiques, la vie se déverse, rapide mais immuable comme un torrent. Nasir brosse le portrait d’une vie de quartier mais de façon anti-pittoresque. Il y a au contraire une singulière contradiction à l’œuvre dans cet enchainement hypnotisant de micro-événements urbains, anonymes et taiseux (ouvrir un rideau, faire la queue, chercher de l’eau, faire tenir debout le quotidien…), dans la cadence soutenue de ces scènes très brèves, et le rythme très alangui qui en découle pourtant. Alors même qu’il ne s’y passe en apparence « presque rien », le film se paye régulièrement le culot de s’arrêter, de ralentir encore. Comme un mantra tellement ressassé qu’il en devient une mélodie étrange et magnétique – deux adjectifs qui collent à la peau du film.

En plus de ce tour de magie narratif, le jeune cinéaste Arun Karthick fait preuve d’un art enviable de filmer la ville, où les étals débordent de couleurs chaleureuses jusqu’à devenir anxiogène et remplacer le ciel. Dans cet espace mis en scène comme un labyrinthe (le temps d’un plan à la beauté renversante, l’horizon derrière un visage se révèle être un aquarium toc), les relations humaines deviennent elle aussi des dédales têtus.

Nasir appartient à une minorité musulmane dans une région majoritairement hindoue : alors que l’entraide familiale se passe pour lui d’explication et de dialogues superflus, ses relations avec les autres ont de airs de faux dialogues pleins d’impasses, de bonhomie artificielle, des certitudes qui s’affrontent dans le vide, avec en arrière-fond la piqure de rappel de la propagande religieuse – voix qui ne rencontre ni ne tolère aucune réponse. Avec beaucoup de finesse, Karthick donne à ressentir la brûlure d’une violence sociale sous-jacente, sans jamais la montrer frontalement (quand celle-ci se fait plus abrupte, c’est d’ailleurs presque redondant, moins cuisant). C’est là la magie de ce film exigeant mais riche en paradoxes passionnants. 

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par Gregory Coutaut

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