Festival de Cannes | Critique : Miroirs nᵒ 3

Lors d’un week-end à la campagne, Laura, étudiante à Berlin, survit miraculeusement à un accident de voiture. Physiquement épargnée mais profondément secouée, elle est recueillie chez Betty, qui a été témoin de l’accident et s’occupe d’elle avec affection. Peu à peu, le mari et le fils de Betty surmontent leur réticence, et une quiétude quasi familiale s’installe. Mais bientôt, ils ne peuvent plus ignorer leur passé, et Laura doit affronter sa propre vie.

Miroirs nᵒ 3
Allemagne, 2025
De Christian Petzold

Durée : 1h26

Sortie : 27/08/2025

Note :

SPECTRE A DOMICILE

Enfin ! Cela a beau faire plus d’un quart de siècle que Christian Petzold est internationalement identifié comme l’un des cinéastes allemands contemporains les plus prolifiques et exportés, il aura fallu attendre cette année pour qu’un de ses longs métrages soit sélectionné à Cannes. C’est la Quinzaine qu’il faut remercier d’avoir rattrapé un retard d’autant plus étonnant que le Festival de Cannes avait su se faire l’écho de la passionnante émergence l’Ecole de Berlin dans les premières années du mouvement, en sélectionnant des films d’Angela Schanelec ou Christoph Hocchaüsler. Auteur le plus romanesque et accessible de cette école-la, Petzold a depuis belle lurette le niveau de voir ses élégants drames mélo-fantomatiques sélectionnés en compétition à Cannes. Il est remarquable à plus d’un titre que la rencontre avec Cannes se fasse a l’occasion de Miroirs nᵒ 3 car derrière son échelle aux apparences mineures (moins d’1h30, un décor quasi unique et quatre personnages seulement) , cette élégante miniature offre à ceux qui ne connaissent pas encore son œuvre une sympathique porte d’entrée dans ses thématiques fétiches. Formulé sous un autre angle : Miroirs nᵒ 3 offre peu de surprises à ses spectateurs réguliers. Mais « peu de surprise » ne veut pas dire « peu de plaisir ».

Tout débute par un violent accident de voiture. Telle l’héroïne de Yella, la protagoniste de Miroirs nᵒ 3 réchappe avec une chance miraculeuse et presque louche du crash qui tue son fiancé sur le coup. La voilà immédiatement soignée et accueillie par une femme ayant l’âge d’être sa mère, apparemment unique résidente de ce coin de campagne. C’est tout ? Petzold, qui considère à raison tous ses films comme des films fantastiques, possède l’art d’inviter le surnaturel entre les lignes des contextes pourtant les plus concrets : dans les faits historiques, dans des visites de musées, et cette fois-ci dans un quotidien domestique qui semblera possiblement banal aux spectateurs pressés. Derrière les recette de cuisine ou les balades à vélos (une image récurrente de son œuvre), l’inquiétante étrangeté se trouve plutôt hors champ, dans la manière dont ces deux femmes évitent de se poser la moindre question d’importance malgré les circonstances de leur rencontre. Un silence qu’il faut à notre tour respecter en ne dévoilant rien du reste du récit, bien sûr.

Tous les protagonistes de Petzold sont des spectres (parfois métaphoriques, parfois au sens propre) qui cherchent à retrouver leur place dans le territoire des vivants, condamnés à se frayer un chemin dans des paysages hostiles (la frontière de Barbara, la forêt en feu du Ciel rouge, les ruines de Phoenix etc). Avec Miroirs nᵒ 3, le cinéaste semble raconter cette tentative de connexion sous l’angle inverse, filmant des vivants ayant désespérément besoin d’un fantôme. La jolie chaumière dans lequel se déroule la quasi-totalité de l’intrigue ressemble à un lieu destiné à accueillir confortablement les fantômes vrais ou faux, les transferts de toute nature. Miroirs nᵒ 3 met sans doute un petit peu trop de points sur les i pour générer un trouble majuscule, telle est peut-être sa limite, mais l’ensemble parvient néanmoins à garder une dose de mystère jusqu’au bout. Les fans regretteront peut-être que face à une Paula Beer une fois de plus parfaite, Petzold n’ait pas saisi l’occasion de caster son ancienne collaboratrice régulière Nina Hoss. Mais cette dimension meta aurait pu virer au plomb lourdingue autant qu’à l’or cinéphile, et Barbara Auer compose avec talent une héroïne elle aussi ambiguë à souhait. Avec ce nouveau film, Petzold prouve qu’il peut raconter des choses ambitieuses avec des éléments narratifs minimalistes, c’est sans doute là la marque des grands auteurs.

| Suivez Le Polyester sur BlueskyFacebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article