Chiyoko Fujiwara est une ancienne gloire du cinéma japonais. Aujourd’hui, âgée de 70 ans, elle vit recluse chez elle. Un jour, un homme vient lui rendre visite pour l’interviewer sur son passé. Il lui remet une clé, que Chiyoko avait perdu voilà 30 ans. Devant le journaliste et son caméraman elle se met à raconter son histoire. Une vie pleine d’amour et de passion, passée à rechercher un étrange inconnu, celui-là même qui lui a un jour remis cette clé en lui faisant la promesse de se revoir…
Millennium Actress
Japon, 2001
De Satoshi Kon
Durée : 1h27
Sortie : 18/12/2019
Note :
A STAR IS (RE)BORN
Les stars ne vivent pas qu’à Hollywood. Durant son âge d’or, le cinéma japonais avait aussi ses icônes : Kinuyo Tanaka, l’une des actrices fétiches de Kenji Mizoguchi, Hideko Takamine, muse de Mikio Naruse, Setsuko Hara, visage familier entre autres du cinéma d’Ozu ou encore Machiko Kyo qui s’est illustrée dans à peu près tout le cinéma japonais. Millennium Actress est un hommage direct à ces femmes, le film s’attache à leur mystère comme si celles-ci étaient enveloppées d’un voile surnaturel. Chiyoko Fujiwara, l’actrice du millénaire selon Satoshi Kon, a beau être fictive, elle n’en est pas moins leur fille et un témoin de trésors passés.
Comme pour Perfect Blue, l’auteur et réalisateur japonais adopte un dispositif narratif collant au plus près des perceptions de son personnage principal. Après les labyrinthes schizophrènes d’une pop star perdant la raison, voici la traversée non linéaire du musée du cinéma de Miss Fujiwara, où la porte d’un univers ouvre immanquablement sur un décor radicalement opposé à celui peint de l’autre côté de la cloison. Encore une fois chez Kon, il y a ce désir de troubler traces réelles et paysages mentaux afin de s’embarquer au mieux, accroché à l’épaule de sa narratrice.
Le cinéma de Satoshi Kon se caractérise notamment par sa vivacité, narrative ou formelle. Les réveils en rafales de Mima dans Perfect Blue ou l’évocation de décennies réduites en une heure par Chiyoko dans Millennium Actress se rejoignent dans une même idée de course enivrante vers l’infini. Des mélodrames aux femmes opprimées tout droit sortis de la filmographie de Mizoguchi aux forêts hantées de Kurosawa auquel Kon emprunte la sorcière tisseuse du Château de l’araignée, les genres – films historiques, fantastiques, sociaux ou autres – s’enchaînent comme ils se heurtent les uns aux autres. Comme si ces longs-métrages n’étaient que climax successifs, comme si la vie elle-même n’était faite que d’une course paroxysmique après les sommets.
L’énergie brute de Millennium Actress est étourdissante au point d’épuiser lorsque l’actrice se lance à la poursuite d’un train qui ne s’arrêtera pas. Exemple de ce désir, un long travelling offre la sensation d’un chemin qui se déroule à nouveau sous les yeux du spectateur, comme si la comédienne-narratrice, embarquée sur sa calèche, revivait les bribes de sa vie dans l’instant présent. De ce point de vue, Millennium Actress est une pure splendeur, passant d’un tableau à une autre estampe avec aisance, et surtout une même élégance formelle.
Le film parfois s’égare (l’incursion d’aspects comiques ou une sous intrigue moins prenante). Mais Millennium Actress respire une telle énergie et un tel amour du cinéma qu’on oublie vite les quelques faiblesses. Millennium Actress demeure une expérience unique, l’un des bijoux de la filmographie sans faute mais trop courte de son auteur regretté, le génial Satoshi Kon. Il sort enfin dans les salles françaises, en version restaurée, près de 20 ans après sa réalisation.
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par Nicolas Bardot