Critique : Megalopolis

Megalopolis est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence. La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.

Megalopolis
États-Unis, 2024
De Francis Ford Coppola

Durée : 2h18

Sortie : 25/09/2024

Note :

LES LUMIÈRES DE LA VILLE

C’est un vertige : Megalopolis s’ouvre par une scène spectaculaire où le protagoniste se trouve tout au sommet d’un immense building, au bord du vide. Le vertige, il se trouve également dans la genèse-même du projet Megalopolis. Son scénario a été ébauché il y a quatre décennies, le projet a failli prendre forme il y a une vingtaine d’années, avant finalement d’être accompli en 2024, entièrement financé par Francis Ford Coppola lui-même. Signé par un cinéaste qui n’est pas étranger aux tournages légendaires, l’impossible Megalopolis a vu le jour et est déjà accompagné d’une aura particulière.

Quoiqu’on puisse penser du film, Megalopolis est bel et bien un projet hors normes. La boussole du long métrage pointe toujours vers une grandeur grotesque et la fable est ici politique, poétique, philosophique et difficilement définissable. Megalopolis peut être beau et laid, pompeux et futile à la fois ; il se déroule dans le futur mais ce futur est déjà comme un peu daté, en tout cas hors du temps. Cette perte de repères participe probablement à rendre le film bancal, mais c’est assurément ce qui le rend unique – aussi unique que pouvait l’être Twixt, son dernier film réalisé il y a une dizaine d’années, où le temps semblait s’être là aussi arrêté.

Si Megalopolis s’ouvre sur un personnage au bord du vide, c’est ici tout un univers qui semble au bord de l’abîme. New York est la Nouvelle Rome antique, sa chute paraît inévitable tandis que les statues s’écroulent – qu’est-ce que la cité peut bien dire sur le monde ? D’un côté, la fascisation et la corruption, de l’autre, l’art et son possible. On croise des lieux emblématiques de New York (Times Square, Central Park, le Chrysler Building, Wall Street, le Pont de Brooklyn) dans ce film où l’urbanisme devient une forme d’humanisme. On peut se perdre dans les méandres du récit de Megalopolis (ou, comme on peut l’entendre de manière plus poétique dans le film, « s’égarer dans les fantasmes d’un monde »), mais Coppola ne manque pas d’imaginaire poétique.

Dans le rôle principal, Adam Driver apporte toute la pesanteur qu’il offre à la plupart de ses rôles. De son côté, Shia LaBeouf cabotine dans un rôle de méchant queer-coded anachronique et embarrassant. Une bonne partie du casting en fait des caisses, mais Megalopolis est précisément un film fait pour être grimaçant. On se retrouve ainsi avec un Jon Voight qui joue une sorte de Donald Trump si celui-ci était incarné par Judi Dench. Tout ce bazar peut évoquer certains des films les plus extravagants des sœurs Wachowski, et déborde régulièrement sur le kitsch. Cela peut être un défaut rédhibitoire pour les personnes les plus tristes, mais rappelons que le kitsch peut avoir de nombreux bienfaits – par la déformation, la distance, la fantaisie qu’il génère. Sérieux comme un pape, Megalopolis se serait certainement écrasé sous son propre poids. La tragédie antique a une esthétique qui rappelle plutôt le Caesars Palace ? C’est peut-être le chemin le plus satisfaisant emprunté par ce film qui n’a pas une définition figée du bon goût – et le mauvais goût, c’est aussi ce dont le long métrage parle. Tout cela est porté par une inspiration et une générosité formelles remarquables qui font de Megalopolis un voyage inédit.

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par Nicolas Bardot

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