Décembre 2012, après quatre mois de captivité en Syrie, deux journalistes français sont libérés, dont Gabriel, trentenaire. Après une journée passée entre interrogatoires et examens, Gabriel peut revoir ses proches : son père, son ex-petite amie, Naomi. Sa mère, elle, vit en Inde, où Gabriel a grandi. Mais elle a coupé les ponts. Quelques semaines plus tard, voulant rompre avec sa vie d’avant, Gabriel décide de partir à Goa. Il s’installe dans la maison de son enfance et fait la connaissance de Maya, une jeune indienne.
Maya
France, 2018
De Mia Hansen-Love
Durée : 1h47
Sortie : 19/12/2018
Note :
L’HOMME QUI N’ÉTAIT PAS LÀ
Les personnages des films de Mia Hansen-Løve (lire notre entretien) sont toujours un peu à coté. On les découvre soit juste avant, soit juste après des moments-clés, mais jamais vraiment en plein dedans. Que L’Avenir ou l’Eden soient à leur portée, ils sont dans une distance un peu absente, comme s’ils étaient spectateurs plutôt qu’acteurs de leur propre vie. Gabriel est libéré après quatre mois de captivité en Syrie. Or, de cette terrible épreuve, nous n’apprendrons rien de plus que ce que résument quelques journaux télévisés. Cette fois encore, l’histoire que Mia Hansen-Løve veut raconter se trouve ailleurs.
Mis à nu et blessé dès sa première apparition, Gabriel se défait pourtant très vite de son statut de victime. Il se dérobe à ce que son entourage, la police et son psy attendent de lui : le soulagement, la dépression, ou même un retour à la normale. Gabriel est déjà ailleurs. Le temps d’un cut impressionnant, le voilà transporté des rues de Paris à celles de Goa. Là encore, pas d’explications superflues, pas de psychologie inutile. Gabriel n’est pas du genre à disséquer les choses. Il n’explique pas ses décisions, et le film suit la même démarche.
Partir en Inde pour se retrouver : l’idée pourrait n’être qu’un cliché digne de faire lever les yeux au ciel (c’était d’ailleurs une source de blague dans Tout est pardonné, le premier film de la réalisatrice). Mais Mia Hansen-Løve possède d’une part l’art de la retenue élégante, mais surtout celui du contrepied subtil. Sur le papier, Maya pourrait n’être que lieux communs bourgeois et condescendants : un homme privilégié qui fuit pour un paradis tropical, qui y drague une jeune Indienne qui a la moitié de son âge, quitte à être maladroitement paternaliste avec elle… Et pourtant le résultat est intelligent, jamais dupe, et surtout d’une très grande douceur.
Car tout d’abord, l’Inde de Maya n’est pas une carte postale de cinéma. Les clichés faciles (la pauvreté, la spiritualité, le pittoresque) y sont laissés hors-champ. Même les touristes sont absents quand les protagonistes se promènent seuls dans les ruines d’Hampi, qui redeviennent alors un lieu à la beauté hors du temps. Là encore, Mia Hansen-Løve nous emmène ailleurs. Ses films ne roulent jamais des mécaniques, et sous des apparences classiques, ils suivent des routes moins balisées. Si Maya est effectivement très romanesque, il l’est à sa manière.
Les poignants reliefs de cette histoire ne sont pas ceux auxquels on pourrait s’attendre. Maya pourrait être la bouleversante histoire d’une renaissance, celle d’un homme qui réapprend à s’ouvrir aux sentiments, une romance pleine d’espoir. C’est au contraire la bouleversante histoire d’un homme qui n’est pas vraiment là. Qui ne saisit jamais vraiment la romance qui l’attend. Le personnage de Maya évoque dans une scène la légende d’un ancien otage qui serait devenu un fantôme. De fait, alors même qu’il semble arrivé dans son eden, Gabriel est encore une fois déjà en train de fuir.
Gabriel rappelle le protagoniste d’Eden, incapable jusqu’à la fin de s’aider lui-même et d’apprendre de ses erreurs. C’est précisément cette amertume – légère mais permanente – ce triste découragement, qui donnent tout son émouvant relief à Maya, loin des formules trop facile et de la psychologie de comptoir du cinéma bourgeois auquel il ne ressemble que de loin. Et cette fois encore, Mia Hansen-Løve offre un regard nuancé et bienvenu sur un personnage masculin tel qu’on en voit rarement ailleurs.
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par Gregory Coutaut