Festival CPH:DOX | Critique : Matter Out of Place

Matter Out of Place est un film sur les déchets dans les zones reculées et sur les gens qui essaient de nettoyer. Matter Out of Place saisit la dissémination des ordures et observe les éboueurs et les gestionnaires des déchets au travail, tels des Sisyphe, à travers le monde.

Matter Out of Place
Autriche, 2022
De Nikolaus Geyrhalter

Durée : 1h50

Sortie : –

Note :

NETTOYER, BALAYER

Matter Out of Place s’ouvre sur l’image d’un fjord vu de loin. Filmé de plus près, le plan suivant nous montre que ce qu’on avait pris pour des résidus de neige pas encore fondue sont en fait des ordures laissées à l’abandon. En s’intéressant à la question des déchets, Matter Out of Place traduit parfaitement le paradoxe du mystérieux cinéma de Nikolaus Geyrhalter (auteur entre autres de Notre pain quotidien et Homo Sapiens, qui figurait dans notre dossier consacré aux 20 meilleurs documentaires des années 2010). Le documentariste autrichien ne parle que de problèmes concrets liés à la civilisation humaine, tout en parvenant à ne quasiment jamais filmer les humains. Ces derniers étaient un peu davantage présents dans son précédent film Earth, présenté à La Roche-sur-Yon. Ils sont à nouveau anonymes et muets ici : aucun intervenant, aucun dialogue à quelques rares exceptions.

Chez Geyrhalter, c’est la nature qui parle et celle-ci prend toute la place. Chaque plan est ici un canevas gigantesque aux cadres parfaitement maitrisés et à la photo spectaculaire. Comme les œuvres précédentes du cinéaste, Matter Out of Place est une grande réussite esthétique, mais Geyrhalter n’est pas Arthus-Bertrand et cette beauté (dont on pourrait d’abord légitimement se demander si elle a bien sa place face à un sujet aussi grave) n’est pas louche ou superficielle. Elle laisse au contraire la place à une inquiétante étrangeté, presque une forme de violence. Les plans durent suffisamment longtemps pour donner lieu à un vertige, pour que l’on s’inquiète de les voir si déserts et muets. On ne sait jamais trop si les documentaires du cinéaste se situent avant ou après l’apocalypse, et cette angoisse demeure cette fois encore.

La perte de repères qui fait la puissance de l’œuvre du cinéaste tient sans doute à sa manière de mélanger les échelles. D’abord au sens propre, quand face à une montagne verdoyante de l’Himalaya se dresse une autre montagne (immense jusqu’à l’absurde) faite de bouts de plastique, mais aussi au sens figuré. En documentant des lieux où la question de la gestion des déchets est cruciale en raison de surpopulation, surconsommation ou d’isolement géographique (des îles du Pacifique aux stations de ski autrichiennes, cette caméra capte littéralement sur terre comme au ciel), les imposantes images de Geyrhalter dévoilent non seulement la disparité des solutions imaginées selon les pays, mais montrent surtout le fossé qui sépare ces tentatives de remèdes au gargantuesque problème d’origine.

Au fil de son tour du monde, Matter Out of Place suit le devenir de ces ordures banales. Passant dans des containers puis des machines censées les compacter, ces déchets deviennent de plus en plus petits alors qu’ils passent dans des centrales et des broyeurs de plus en plus immenses et monstrueux, comme si l’échelle de ce travail de gestion dépassait les petits bras humains. Lors d’un plan grinçant, l’employé d’un hôtel de luxe des Maldives prend bien soin de peigner au râteau la plage qu’il vient de nettoyer. Ce zèle absurde fait sourire, mais un écho de cette scène revient plus tard avec beaucoup de sérieux, lorsque des volontaires nettoient le désert du Nevada à coup de… balais individuels. On ne sait pas si cette image finale (avec le bruit des coups de balais qui perdure pendant le générique !) est optimiste dans sa manière de témoigner d’un réel effort collectif ou pessimiste dans sa façon de sous-entendre que cette tâche sisyphéenne ne prendra jamais réellement fin.

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par Gregory Coutaut

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