Julián est un talentueux concepteur de jeux vidéo spécialisé dans la création de monstres. Lorsque Diana s’intéresse à lui, il imagine une nouvelle créature qui, bien que virtuelle, ne va pas tarder à chambouler leur réalité.
Creaturas
Espagne, 2022
De Carlos Vermut
Durée : 1h55
Sortie : 31/07/2024
Note :
NOIRS DÉSIRS
Julián est illustrateur pour des jeux vidéos. Si sa vie quotidienne a rarement l’air de dépasser l’horizon de sa chambre à coucher (où l’ordinateur semble être le seul meuble important), son imagination ne connait au contraire pas de limites. A l’image de la Manticore, cette créature mythologique mi-lion mi-scorpion qui donne au film son titre espagnol original, les monstres qu’il crée virtuellement défient l’imagination. Après tout, « personne ne sait à quoi ressemble un monstre ou un alien » explique-t-il à Diana, qu’il aimerait bien séduire. Cette phrase n’aurait pas besoin d’être davantage surlignée pour servir de potentielle clé au film, pas plus que les références directes aux angoissantes Peintures noires de Goya. Car si Julián a l’air inoffensif (Nacho Sánchez l’interprète moins comme un incel que comme un grand ado timide), on se doute bien qu’un monstre est tapi quelque part aux alentours.
La Niña de fuego et Quién te cantará, les deux premiers longs métrages du cinéaste espagnol Carlos Vermut, possédaient un réjouissant sens du mystère, aguichant notre curiosité avec des figures de mélo pour finalement les twister avec malice. La malice n’a pas sa place dans Creaturas, où le ton est nettement plus distant et le rythme exigeant. L’écriture de Vermut évolue (la barre est par ailleurs redressée après le scénario convenu qu’il signait l’an dernier pour le film d’horreur Abuela). Les scènes sur le quotidien trivial de Julián et Diana s’enchainent, les coups de théâtres camp laissent ici place à un slow burner parfois si lent qu’on se demande si la mèche est toujours bien allumée et où, pourtant, quelque chose gronde décidément dans l’ombre.
Il y a dans Creaturas un élément essentiel qu’on ne peut pas révéler sous peine de nuire au film, de ruiner son audacieuse structure. En effet, Vermut donne d’abord l’impression de se faire prier un peu, de tourner quelques tours de trop autour du pot, avant que l’on comprenne que ce qui l’intéresse n’est justement pas le choc attendu de la monstruosité mais l’horreur de toute la banalité qui entoure cette dernière. S’il fallait chercher une comparaison, on pourrait sans doute la trouver du coté de Benny’s Video de Michael Haneke. Ici aussi, les scènes s’attardant sur tout autre chose que l’éclat de violence se révèlent bien plus dérangeantes que le moment M.
Alors même qu’il n’aborde jamais frontalement son sujet choc, Creaturas est hautement perturbant. L’entreprise de Vermut est risquée en termes de rythme, Creaturas ne perdrait d’ailleurs sans doute pas grande chose à être un peu raccourci, mais le pari s’avère payant. C’est en effet dans ce décalage radical (entre le rythme et le sujet, entre nos attentes et leur non-résolution) que s’épanouit la remarquable perversité du film. Tout en conservant son art du contrepied, Vermut radicalise son cinéma, se payant même, pour notre plaisir, le luxe pervers d’un dénouement où l’empathie prend la forme d’une grinçante couleuvre à avaler.
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par Gregory Coutaut