Manifesto rassemble aussi bien les manifestes futuriste, dadaïste et situationniste que les pensées d’artistes, d’architectes, de danseurs et de cinéastes tels que Sol LeWitt, Yvonne Rainer ou Jim Jarmusch. A travers 13 personnages dont une enseignante d’école primaire, une présentatrice de journal télévisé, une ouvrière, un clochard… Cate Blanchett scande ces manifestes composites pour mettre à l’épreuve le sens de ces textes historiques dans notre monde contemporain.
Manifesto
Allemagne, 2016
De Julian Rosefeldt
Durée : 1h38
Sortie : 23/05/2018
Note :
ART TOTAL
Attention, concept fou. Manifesto est composé de treize courts métrages aux styles divers, mettant chacun en scène Cate Blanchett. Dans chacun d’entre eux, Blanchett est l’unique actrice ou du moins la seule à s’exprimer, et ce parfois directement à la caméra. A chaque nouveau film qui commence, elle endosse un nouveau personnage, une nouvelle perruque, un nouvel accent, et s’adresse à nous. Or l’intégralité des textes qu’elle nous joue ici sont tirés de manifestes artistiques ou politiques du vingtième siècle. Cela commence par le manifeste du parti communiste de Marx et Engels, pour aller jusqu’au Dogme de Lars Von Trier en passant par le Dadaïsme de Tristan Tzara ou le situationnisme de Guy Debord. Aride ? Étonnamment pas, grâce au génie de Blanchett, qui transforme ces textes pointus, parfois très ardus, en monologues particulièrement vivant, en dialogues absurdes, parfois émouvants, effrayants ou hilarants. Le mot est lâché: tout sérieux et ambitieux qu’il soit, Manifesto est bien plus ludique qu’il n’y paraît.
A l’origine, Manifesto n’est pourtant pas un film mais une exposition, qui après avoir tourné dans le monde entier pendant deux ans, a été présentée à Paris au printemps dernier. Dans la scénographie d’origine, les différents films étaient projetés simultanément sur treize écrans différents, créant ainsi la sensation vertigineuse de pouvoir traverser d’un pas tous les courants intellectuels majeurs du 20e siècle. En passant du musée à l’écran de cinéma, Manifesto perd un gimmick saisissant: il y a en effet dans chaque court métrage un bref moment où Cate Blanchett se met à chanter son texte, et l’ensemble de l’exposition était minuté de telle sorte que ces treize courts moments se superposent, créant un chœur étrange. Ce que le film gagne en revanche, c’est une cohésion chronologique (et plus prosaïquement: des sous-titres, absents lors de l’expo).
Ironiquement, le film peut se voir comme une bande-démo pour le talent de la Blanchett, qui même en repartant de zéro avec un nouveau personnage toutes les dix minutes parvient à bluffer sans cesse, passant de la rock star au clochard hirsute avec un charisme incroyable. Hormis Tilda Swinton, on n’imagine pas d’autre actrice aussi transformiste, également capable d’allier l’humour à l’art conceptuel. Mais Manifesto est évidemment l’antithèse d’un star vehicle. Si chacun des films qui le compose nous donne à voir un nouvel univers à chaque fois (une salle de classe, une usine…), et que tous parviennent à brosser un personnage crédible et nuancé en quelques détails, ils ne nous racontent pas d’histoires à proprement parler. Ce que Manifesto a à nous dire est ailleurs.
Il y a quelque chose de désuet dans l’idée d’écrire un manifeste (qui le fait encore?), mais aussi quelque chose de pédant et prétentieux à vouloir déclamer sa propre capacité présumée à comprendre et organiser tout l’art, tout le monde, à travers une seule pensée. Le décalage entre les scènes contemporaines et prosaïques jouées à l’écran et l’exaltation fougueuse de certains de ces textes pourrait être cruel. Or, si Julian Rosenfeldt met effectivement un peu de distance, il le fait avec humour. Mais un humour jamais moqueur ou cynique. Ce que le film nous dit de passionnant, en filigrane, c’est que l’art et la pensée sont bien vivants et trouvent encore leur écho partout, dans la vie quotidienne de tout un chacun. Manifesto crée ainsi lui-même son propre manifeste, et nous donne envie de créer le nôtre. C’est cette incroyable énergie qui achève de rendre ce projet dingue aussi exaltant.
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par Gregory Coutaut