Festival Black Movie | Critique : Man in Black

Le cinéaste chinois a filmé au Théâtre des Bouffes du Nord sur trois jours sans public, et mis en forme par Caroline Champetier, le compositeur chinois Wang Xilin exilé en Allemagne, pour qu’il raconte, dépouillé de tout vêtement, certaines parties de sa vie.

Man in Black
Chine, 2023
De Wang Bing

Durée : 1h00

Sortie : –

Note :

L’OEUVRE PARLE

L’homme en noir du titre, c’est Wang Xilin, l’un des plus célèbres compositeurs de musique classique chinois. La noirceur qui l’habille est en réalité métaphorique et désigne les événements tragiques qui ont parcouru sa vie et l’Histoire de son pays. Wang Bing le met ici à nu, au sens propre comme au figuré, sur la scène vide et dans les coulisses du théâtres parisien des Bouffes du Nord. Le récit qui va nous être donné à écouter est triple : il s’agit de celui de la vie de cet homme, celui de la naissance de son œuvre, et celui de l’Histoire de la violence avec laquelle le gouvernement chinois a traité ses citoyens au court du XXe siècle.

Man in Black s’ouvre par une séquence silencieuse. Wang Xilin, 86 ans, fait les cent pas entièrement nu, il erre dans ce bâtiment désert avec le pas lourd d’un fantôme. Particulièrement étonnante dans le cadre d’un documentaire sur la musique et la parole, cette introduction énigmatique, exigeante par sa lenteur et jusqu’au-boutiste au point de s’approcher par moment du risible ou de la caricature, a de quoi déstabiliser. D’abord éprouvée, la patience du spectateur intrigué va par la suite être grandement récompensée par un voyage immobile et pourtant stupéfiant.

Les puissants portraits documentaires de Wang Bing n’y vont généralement pas de main morte sur l’austérité. Celles et ceux qui ont vu les 8h15 des Ames mortes se souviennent par exemple d’entretiens en plans fixes laissés ininterrompus alors même que la lumière du jour déclinait jusqu’au noir. Man in Black, c’est tout l’inverse ou presque. D’une durée riquiqui (une heure seulement) et d’un minimalisme qui évoque le superbe La Dernière lettre de Wiseman (une personne âgée seule dans le vide raconte sa vie à on ne sait qui), le film est monté avec une étonnante nervosité.

L’œuvre musicale de Wang Xilin est liée de très près à sa biographie. Le temps d’une analyse incroyable, il explique d’ailleurs avoir composé une symphonie qui traduirait en musique les tortures exactes qu’on lui a fait subir. Wang Bing met autant en scène sa parole que sa musique, les superpose parfois, les alterne, les entrechoque. Le travail sur le son participe à donner à ce passionnant documentaire un relief imprévisible et intranquille. Renouvellement inattendu de l’œuvre politique de Wang Bing, voilà un documentaire sur un musicien qui, loin des reportages classiques et biographiques remplis d’archives et d’intervenants interchangeables, réfléchit authentiquement à comment mettre en scène la musique et le processus créatif.

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par Gregory Coutaut

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