La jeune Madeline, 16 ans, rejoint une troupe de théâtre expérimentale. Poussée par une ambitieuse metteuse en scène, elle tire de sa relation problématique avec sa mère et de son monde intérieur riche, une performance pour l’art collectif. Quitte à flouter les lignes entre réalité et théâtre.
Madeline’s Madeline
États-Unis, 2018
De Josephine Decker
Durée : 1h33
Sortie : disponible sur Mubi
Note :
L’ÉCOLE DES PASSIONS
« Ce que vous vous apprêtez à vivre n’est rien d’autre qu’une métaphore » nous explique une voix-off avant même que les premières images n’apparaissent. Nous voilà prévenus. Sauf que cette sentence impérieuse se révèle en réalité être la consigne d’un exercice de théâtre tarabiscoté auquel participe l’héroïne. Cette introduction est un gag, mais pas seulement: Madeline’s Madeline vient ainsi de se jeter à pieds joints sur son fil de funambule entre comédie et malaise, entre folie douce et folie clinique. Faut-il rire ou s’inquiéter (réponse: les deux) ? Voilà la question que l’on va se poser devant chaque scène qui va débouler à toute vitesse.
Madeline est une ado en rébellion comme les autres, ou presque. On entend dire à la dérobée qu’elle a « des problèmes ». Mais qui est la plus dérangée dans cette histoire ? La gentille Madeline, qui certes, fantasme par moments de tabasser sa mère à coup de fer à repasser ? Sa maman qui panique et couine comme Porcinet au moindre courant d’air (la géniale Miranda July, idéalement castée en maman très chère castratrice) ? Ou bien la prof de théâtre de Madeline, gourou en toc aux activités toujours plus perchées ? Ou bien est-ce la réalisatrice Josephine Decker ? Cette dernière pousse l’inattendu jusqu’à nous plonger dans un récit des plus improbables.
Madeline va se laisser convaincre par sa prof de jouer son propre rôle sur scène, dans un pièce inspirée de sa relation avec sa mère. Dès lors, à force de transferts affectifs et d’autorité maladroite, les héroïnes vont se retrouver prises dans un triangle zinzin de panique et d’humiliations. Dans cette entreprise sans cesse au bord du naufrage ou de la crise de nerf, chaque étape est à la fois hilarante et lugubre.
Le résultat est imprévisible, et s’il fallait chercher une comparaison à faire, on pourrait citer le déjà fort curieux Nasty Baby de Sebastian Silva (qui posait déjà un regard tordu sur le monde de l’art New-yorkais). Mais cette histoire de fou (de folles, plutôt), Josephine Decker la filme à sa propre manière, comme un rêve intranquille, particulièrement fragmenté, rempli de gros plans et de flous qui tanguent – comme si elle la racontait de l’intérieur.
Surtout, Josephine Decker ne prend jamais ses personnages de haut. Elle refuse la caricature ou la simplification à outrance dans ses portraits psychologique. De fait, les trois héroïnes sont tour à tour flippantes, adorables ou sages. Et puis mine de rien, il n’y a quasiment aucun homme dans Madeline’s Madeline. Ses héroïnes se débrouillent comme elles peuvent, mais n’ont besoin de personne. On ne sait pas trop, au final, qui sort gagnant ou KO de cette drôle de relation triangulaire, mais qu’on ne s’y trompe pas: ce sont trois femmes puissantes.
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par Gregory Coutaut