A voir en ligne | Critique : Madame

Saga familiale basée sur des images d’archives privées qui s’étalent sur trois générations. Madame crée un dialogue entre Caroline, une grand-mère au caractère flamboyant, et son petit-fils cinéaste Stéphane, lors duquel les tabous de la sexualité et du genre sont remis en question dans un monde patriarcal à priori hostile à la différence.

Madame
Suisse, 2019
De Stephane Riethauser

Durée : 1h34

Sortie : 26/08/2020

Note :

LE RÔLE DE SA VIE

Maman est douce et coquette, papa est fort et rationnel. C’est le schéma perçu par Stéphane Riethauser (lire notre entretien), alors jeune garçon, regardant ses parents. C’est ce qu’il voit de ses yeux, c’est aussi ce qu’il voit dans les films familiaux tournés en Super 8 (et, comme il le commente, « les images ne mentent pas »). Dans son documentaire Madame, Riethauser utilise une montagne d’images d’archives, des souvenirs bruts, des instants familiaux saisis sans mise en scène. Mais paradoxalement, ces images ne font que mettre en valeur la mise en scène sociale. Et ce dont le jeune Stéphane est témoin est un schéma qu’il tentera tant bien que mal de reproduire, comme on apprend le rôle qui nous est attribué.

Mais lorsque le cinéaste fait le portrait de sa grand-mère, c’est une toute autre histoire. Celle-ci a décidé de ne pas se conformer au rôle qu’on lui a soigneusement préparé. Être une femme d’affaires c’est être une mauvaise mère, divorcer c’est être une pestiférée – même si on vous marie de force à 15 ans, même si on subit un viol. Ça ne se fait pas, et les carcans d’une société misogyne sont aussi ceux d’une société classiste. Peu importe pour Madame, qui choisit de tracer sa propre route. Riethauser documente sa relation attachante avec son aînée sans la rendre pittoresque ; car elle aussi peut être rétrograde, ce qui permet de nuancer le portrait.

On voit souvent des récits d’apprentissage queer, de découvertes sur soi-même à l’adolescence. Madame est, avant tout, un récit de désapprentissage. Riethauser décrit un milieu familial où les hommes épousent des femmes qui doivent aussi leur servir de domestique, un milieu où un garçon qui étudie trop est un peu suspect. Un milieu amical où l’on chante les valeurs viriles, où l’on parle de cul h24 sans jamais baiser. Riethauser traite de cet hyper-formatage alors qu’il a lui-même été formaté. C’est une perspective passionnante pour parler de l’homophobie intériorisée, de son lien avec le sexisme – tout ce qu’une société patriarcale enseigne jour après jours à ses garçons.

Pendant qu’on suit l’apprentissage/désapprentissage de Stéphane Riethauser, on suit son cheminement politique. Le cinéaste ne se ménage pas dans Madame, ne jette pas de voile pudique sur le garçon homophobe et misogyne qu’il a pu être. Mais à mesure de son éveil politique, une autre question se pose : comment concilier le fait d’être homosexuel et de droite ? Madame raconte également un désapprentissage politique : comment ce jeune homme peut-il devenir un militant pour les droits LGBTQI alors qu’il vient d’un milieu qui nie son existence, comme en témoignent tous les films d’archives de Madame ? Ces images-là, effectivement, ne mentent pas. Madame retrace avec honnêteté une émancipation, avec un point de vue complexe et inédit.


>> Madame est disponible en vod sur la plateforme d’Outplay

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article