Berlinale | Critique : Living the Land

 1991. La transformation socio-économique de la Chine affecte profondément la vie des familles à travers le vaste pays. Les paysans sont confrontés à des défis et à des avancées technologiques qui remodèlent radicalement leur mode de vie rural. En réponse, les parents de Chuang, âgé de dix ans, ont choisi de déménager pour chercher du travail en ville, laissant leur enfant à leur famille et aux voisins de leur communauté villageoise.

Living the Land
Chine, 2025
De Huo Meng

Durée : 2h12

Sortie : –

Note :

AU BORD DU MONDE

En voix-off, un jeune garçon s’adresse à nous et se présente. Le premier plan de Living the Land montre un ciel superbe de petit matin. Ton naïf, pittoresque paysager ? Le long métrage du Chinois Huo Meng déjoue rapidement les craintes : la première action dans Living the Land consiste en effet à déterrer des ossements. Grand-père est là, avec une balle à ses côtés. Son squelette rappelle une Histoire violente et malgré les tourments de celle-ci, les humains doivent être réunis comme il se doit après la mort, que cela plaise ou non à l’arrière grand-mère (« Qu’ils aillent se faire foutre, je ne veux pas être enterrée avec eux »).

Les humains, à vrai dire, sont réunis tout le temps dans le long métrage, et ce toutes générations confondues. Il est visiblement difficile d’être seul dans ce coin rural de la Chine du début des années 90. Pourtant, le jeune héros lui-même ne vit pas auprès de ses propres parents, partis gagner mieux leur vie en ville. Huo Meng raconte une mutation, un basculement, et la Chine qui change au loin se fait ressentir jusqu’ici, au bout du pays. La caméra du cinéaste privilégie des prises longues, avec des panos délicats s’approchant des personnages et de leurs discussions, sans cut ou champ/contrechamp. La mise en scène inscrit toujours les protagonistes dans un groupe mais aussi au sein de ce décor rural. Ici une prise sans coupe nous fait entrer dans le village, là un pano déroule la nature et les personnages qui s’y trouvent.

Living the Land dépeint la vie de tous les jours, avec ce qu’elle peut avoir de monotone – jusqu’à ce que la monotonie menace le film lui-même. Il y a néanmoins une force dramatique à observer ces cycles éternels – naissance, mariage, mort – comme une roue qui ne s’arrêtera jamais. La mariée est triste ? Elle n’a pas son mot à dire : personne n’a son mot à dire. Les personnages sont soumis aux éléments, mais aussi à des règles tacites qui ne laissent guère de place aux individus. Living the Land n’est nullement un récit qui idéaliserait son décor ou son époque, et ne lisse pas la brutalité du quotidien.

Le cinéaste se montre visuellement inspiré – ici, même la nuit est bleue et belle. Mais derrière cette beauté se cache peut-être quelque chose qui serait plus trouble, comme les mauvais rêves du jeune héros. La magnifique fin du film suggère le triste sort qui attend cette région : la neige a tout recouvert, le silence règne, les personnages empruntent un chemin qui ressemble à une boucle damnée d’un Bela Tarr. Un monde vivant qui, devant nos yeux et en un majestueux mouvement de caméra, devient un lieu hanté.

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par Nicolas Bardot

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