A voir en ligne | Critique : Lillian

Lillian, échouée à New-York, décide de rentrer à pied dans sa Russie natale. Seule et déterminée, elle entame un long voyage à travers l’Amérique profonde pour tenter d’atteindre l’Alaska et traverser le détroit de Béring…

Lillian
Autriche, 2019
De Andreas Horvath

Durée : 2h08

Sortie : 11/12/2019

Note :

LA ROUTE SAUVAGE

L’Autrichien Andreas Horvath (lire notre entretien) s’est jusqu’ici distingué avec ses documentaires. Pour sa première fiction, il déploie la carte la plus ample et la plus romanesque qui soit en s’inspirant librement du périple d’une jeune femme de l’est, réalisé dans les années 20. Celle-ci avait comme idée de partir de New York pour rejoindre la Russie à pieds. Dans le film d’Horvath, le nom de Lillian s’inscrit rapidement sur la ville, ses i et ses l dressés comme des buildings. Comme si le film nous suggérait que l’héroïne pouvait sans peur se confronter aux décors immenses, à la mégalopole, au désert infini ou à la forêt profonde.

Le film fait d’abord le portrait alternatif de l’Amérique. D’abord parce que celui-ci est croqué du point de vue d’une outsider, une jeune femme immigrée dont le visa a expiré et qui se retrouve rejetée de la société. Ensuite parce que c’est l’Amérique de l’ombre qu’Horvath dépeint ici, un territoire exsangue et qui s’étend à perte de vue. On y croise des carcasses et des vide-greniers, les bagnoles défoncées n’ont plus qu’à jouer aux auto-tamponneuses entre elles, les maisons sont abandonnées et on y retrouve une vieille carte de vœux perdue dans les détritus. Tous les décors américains sont cinégéniques et nous projettent dans un imaginaire de cinéma – un patelin vidé donne l’impression que Lillian débarque dans le vieux décor d’un tournage fantôme. Il y a une majesté en eux, mais Horvath filme avant tout leur crépuscule tragique et poignant.

Il y a peu de dialogues dans Lillian, mais on y parle pourtant beaucoup. Il y a le discours officiel lancé par hauts parleurs lors de parades. Il y a la radio en logorrhée permanente, tout le bullshit qu’elle déverse à longueur de journée – on ne sait plus à qui elle s’adresse, on ne sait plus qui l’écoute encore. Mais qui parle à Lillian ? Il n’y a visiblement plus que les panneaux accrochés au bord de la route qui s’adressent à elle, lui parlent de Jésus, lui vendent quelque chose, la mettent en garde au sujet de femmes qui ont disparu avant elles. Lorsqu’elle entre dans une boutique, ce ne sont que les avertissements collés aux murs qui établissent un contact avec elle. La jeune femme erre comme un fantôme, comme la silhouette de The Savage Eye s’enfonce dans un Los Angeles spectral. Le film dépeint sa solitude de façon profonde et bouleversante.

Horvath donne un relief inattendu à son long chemin. L’image est parfois brute, les angles étranges et inconfortables, puis la caméra peut s’élever en un mouvement ample et lyrique. On ne sait parfois plus si l’on est dans l’épure émouvante d’une Kelly Reichardt ou le grandiose glaçant d’un Godfrey Reggio. Plus proche de nous, on pense au cinéma de Valérie Massadian, où la peinture ultra-réaliste de la marginalité rencontre une surprenante dimension de conte. Lillian est un grand film sur la marginalité, rendu vivant et vibrant par ses contrastes. C’est parfois une attention aux détails triviaux – les règles, les poils, les cheveux -, c’est parfois un décollage quasi-onirique le temps d’un impressionnant feu d’artifice.

On ne dévoilera pas le dernier contraste proposé par Horvath mais ce décrochage est aussi poétique que gonflé. Aux pieds d’une caissière de supérette lookée comme à un concert de Pat Benatar ou face à l’immensité d’une nature qui semble prête à l’engloutir, on reste au plus près de Lillian ; le film crée un lien sensible, intime et extrêmement émouvant. « On n’a pas été touché par Irene mais une tempête tropicale est à venir » commente une commerçante. Lillian est secouée par les bourrasques successives mais marche et marche encore. Parfois, l’étonnante musique a des accents de mélos 50s, ces films aux héroïnes incroyables marchant contre l’adversité. A l’image de sa protagoniste, Andreas Horvath nous propose ici un immense voyage de cinéma, des racines doc au mélo romanesque. Le résultat est inoubliable.


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par Nicolas Bardot

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