Paris, années 80. Elisabeth vient d’être quittée par son mari et doit assurer le quotidien de ses deux adolescents, Matthias et Judith. Elle trouve un emploi dans une émission de radio de nuit, où elle fait la connaissance de Talulah, jeune fille désœuvrée qu’elle prend sous son aile. Talulah découvre la chaleur d’un foyer et Matthias la possibilité d’un premier amour, tandis qu’Elisabeth invente son chemin, pour la première fois peut-être. Tous s’aiment, se débattent… leur vie recommencée ?
Les Passagers de la nuit
France, 2022
De Mikhaël Hers
Durée : 1h51
Sortie : 04/05/2022
Note :
ENFIN DEMAIN NOUS APPARTIENT
Le début de l’action du nouveau film de Mikhaël Hers se situe en 1981, le soir de la victoire de la gauche aux élections présidentielles. Les images d’archives anonymes incrustées çà et là (dans un effet discret et saisissant qui vient sous-entendre qu’entre hier et aujourd’hui, rien n’a peut-être changé) nous montrent que l’espoir et la liesse sont dans la rue. Le soleil ne s’est même pas encore levé pour la première fois sur cette nouvelle ère que l’horizon semble déjà grand ouvert. Ouvert comme la vue depuis l’appartement du quartier Beaugrenelle où Elisabeth (Charlotte Gainsbourg, une fois de plus excellente) vit avec ses enfants. Fraichement larguée par son mari, celle-si sent son monde se rétrécir, incapable de voir ce qui est pourtant sous ses yeux, à travers la vitre : Paris l’attend à ses pieds.
Aidé par une image au grain émouvant et une musique électro mélancolique, Mikhaël Hers plonge ce coin de Paris trop rarement filmé dans le brouillard du petit matin ou dans une nuit cotonneuse, propice à l’anonymat comme un cocon. Plusieurs des personnages des Passagers de la nuit se voient justement reprocher de glisser à la surface des choses, sans oser interagir avec le monde. « Arriverai-je un jour à vivre normalement ? » demande Talulah (Noée Abita), comme si elle priait pour être délivrée d’une malédiction. Ce qui va venir briser celle-ci, c’est une double transmission. D’abord celles des ondes FM, sous la forme d’une émission de radio nocturne où Emmanuelle Béart (au look plus butch que jamais) recueille les voix des solitaires insomniaques. Puis une transmission artistique. Celle des chansons populaires qui lient le futile au fondamental et qui transforment les moments passés ensemble en cadeaux, celle des films qui aident à grandir, à comprendre soi-même et les autres.
Il y a d’ailleurs plusieurs gentils fantômes de cinéma qui viennent hanter ce film nocturne et parisien. Rivette d’un côté (Emmanuelle Béart, les décors du Pont du nord), Rohmer de l’autre (Didier Sandre, Les Nuits de la pleine lune). Avec sa choucroute brune, son blouson en cuir et sa voix haut perchée, Talulah est un écho des personnages de Pascale Ogier. Face à elle, la maladroite et attachante Elisabeth rappelle la timidité des rôles de Marie Rivière. Les Passagers de la nuit peut d’ailleurs se lire comme une fan fiction cinéphile et émouvante, où Ogier et Rivière se rencontreraient dans un shared universe parisien pour se sauver mutuellement et traverser les années côte à côte. Quand le visage de Talulah endormie vient se confondre avec le panorama de la capitale, on se dit même que le titre anglais de Céline et Julie vont en bateau irait également très bien ici : Phantom Ladies Over Paris.
Comme ces deux modèles (qu’on est d’ailleurs pas obligé de connaître ou apprécier pour être ici profondément bouleversé), Hers est un expert pour filmer Paris, et c’est aussi un grand cinéaste de la parole et de la sensibilité. Cette dernière est d’ailleurs une vertu. La parole entendue dans la solitude de la nuit, le silence que l’on respecte aussi, sont autant de clés pour être au monde. C’est cette transmission de parole (majoritairement féminine) qui vient briser la malédiction évoquée plus haut. Être un passager de la nuit c’est être dans une bulle, mais pas être isolé pour autant. Ce n’est pas un hasard si le film s’ouvre par un itinéraire lumineux sur un plan de la ville. Aussi poignant que l’était Amanda, Les Passagers de la nuit est la plus profonde et chaleureuse des invitations, un mode d’emploi magique pour traverser la nuit.
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par Gregory Coutaut