Festival de La Roche-sur-Yon | Critique : Les Oubliés de la Belle Étoile

En Savoie, se situait le centre de « redressement » La Belle Étoile tenu par l’abbé Garin. Dédé, Michel et Daniel y ont séjourné enfants dans les années 50 à 70, et y ont été battus, humiliés, affamés, détruits. Avec la complicité de la réalisatrice Clémence Davigo, ils se réunissent enfin pour briser le silence. Une épopée bouleversante sur le chemin de la mémoire et de la justice.

Les Oubliés de la Belle Étoile
France, 2023
De Clémence Davigo

Durée : 1h46

Sortie : –

Note :

CONVERSATION SECRÈTE

Dans la nature paisible des alpages, dans des jardins accueillants, le soleil et le vent jouent avec la végétation, créant presque un petit coin de paradis lumineux. Trois hommes débonnaires aux cheveux gris y échangent des souvenirs, et ceux-ci sont d’abord hauts en couleur et sympathiques. « On braquait des coffres mais c’était surtout histoire de passer une bonne soirée » plaisante l’un d’entre eux en se remémorant son adolescence mouvementée, qui n’a pas l’air plus traumatisé que ça par ses épisodes carcéraux. Entre ces hommes de la même génération, la parole est libérée. Pourtant, ils ne se connaissent pas depuis longtemps. Ce qu’ils en ont en commun remonte loin dans leur passé, il s’agit de la Belle Étoile.

La Belle Étoile porte très mal son nom puisque cet institut catholique de Savoie, sorte de camp de redressement pour adolescents à problèmes et adolescents tout court, fut le théâtre d’événements très violents, propices à plus d’une nuit blanche pour les victimes. A de nombreuses reprises et pendant plusieurs années, le personnel de la Belle Étoile s’est en effet livré à des actes brutaux sur les enfants dont ils avaient la garde. Attouchement, embrassades, mais aussi tortures quotidiennes pouvant laisser des os brisés. Sur des photos de l’époque, certains gamins ont les yeux gonflés sans qu’on puisse savoir si c’est à force d’avoir pleuré ou s’il s’agit d’un œil au beurre noir. Aujourd’hui encore, les faits demeurent impunis et cachés.

Les Oubliés de la Belle Étoile n’est ni un film de reconstitution ni le récit d’une enquête de justice. C’est un documentaire touchant qui donne toute la place à la parole. Si l’on sent chez les trois protagonistes le poids de décennies de tristesse et de honte, leur parole est par moment étonnamment apaisée à l’image du film entier. Le recul qu’ils possèdent et que nous ne pouvons partager, nous qui découvrons les faits, crée parfois un singulier décalage. A ce titre, la scène la plus marquante du film est peut-être celle où, cherchant à joindre la cellule d’écoute du diocèse, ils tombent uniquement sur un cul-de-sac : un message anonyme préenregistré de répondeur. Tout un symbole. En choisissant une forme simple, où les entretiens et discussions se succèdent, la réalisatrice Clémence Davigo signe le portrait modeste, mais digne et émouvant, d’hommes sensibles, en proie à une vie entière d’émotions qu’ils n’ont pu partager.

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par Gregory Coutaut

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