Critique : Les Nuits de Mashhad

Iran 2001, une journaliste de Téhéran plonge dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Elle va s’apercevoir rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées.

Les Nuits de Mashhad
Danemark, 2022
De Ali Abbasi

Durée : 13/07/2022

Sortie : 1h56

Note :

UN MONDE SANS FEMMES

Après le conte gothique Shelley (présente à la Berlinale en 2016) et la fable écologique Border (primée à Cannes en 2018), le cinéaste danois Ali Abbasi fait un virage inattendu en revenant avec Les Nuits de Mashhad. D’abord car c’est la première fois que le réalisateur raconte une histoire se déroulant en Iran, pays qu’il a quitté au moment de ses études, puis parce que le film est nettement plus réaliste que les précédents. Les Nuits de Mashhad s’inspire en effet d’un célèbre fait divers en Iran : les meurtres de seize prostituées par un fou de Dieu se sentant investi de la mission de nettoyer la ville de ses péchés.

Or, dès les première scènes apparait un drôle de paradoxe : c’est un film réaliste, et pourtant c’est du jamais-vu. Ali Abbasi montre des choses qui ne choqueraient pas grand monde dans n’importe autre film noir, mais qui dans le cadre d’un film iranien ressemblent à des petites bombes : un sein, de la drogue, une pipe, etc… Ce ne sont que des détails dans un ensemble accessible qui respecte globalement les codes du film d’enquête, mais ils créent un effet de surprise saisissant. On aurait déjà été étonné de voir un film iranien sans aucune scène filmée à l’intérieur d’une voiture, mais Abbasi va plus loin : il fait ainsi en toile de fond le portrait cinglant d’une société qui ne se représente habituellement au cinéma qu’à travers un système de censure très codé.

Les Nuits de Mashhad prend le parti scénaristique de dévoiler d’emblée l’identité du tueur, coupant pied à tout risque de transformer ces féminicides en suspens excitant de mauvais goût. Le film suit en parallèle l’assassin et la journaliste fière et indépendante enquêtant sur l’affaire (Zar Amir Ebrahimi, prix d’interprétation à Cannes). Redonner la parole centrale à une femme dans une affaire qui déborde de misogynie : l’idée est judicieuse, mais cette structure finit par être un peu au détriment du personnage féminin, tant celui du tueur se révèle plus complexe et mystérieux. C’est d’ailleurs quand le film abandonne cette double piste parallèle (un peu convenue, c’est dit) et qu’il raconte ce qui se passe après la résolution de l’enquête qu’il devient le plus fou.

Le titre original des Nuits de Mashhad est Holy Spider. Cette araignée sainte, c’est à la fois le surnom du meurtrier poussé par un soi-disant appel divin et qui attire les victimes dans son antre. C’est aussi bien sûr la haine des femmes qui recouvre telle une toile d’araignée toute la société iranienne telle qu’elle est montrée ici. Une fois arpentés les sentiers classiques de l’enquête, une fois passées les scènes de meurtres brutales (où l’on retrouve d’ailleurs un écho horrifique pas si éloigné des précédents films d’Abbasi) c’est paradoxalement quand le tueur est derrière les verrous que le film nous montre une véritable horreur. La réalité rattrape d’ailleurs la fiction car l’actrice Zar Amir Ebrahimi a d’ailleurs été contrainte de fuir le pays et mettre un terme à sa carrière suite à la fuite d’une sextape. Les Nuits de Mashhad n’a l’air que d’un film noir, mais à sa manière, c’est bel et bien un film de terreur.

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par Gregory Coutaut

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