A voir en ligne | Critique : Les Garçons sauvages

Début du vingtième siècle, cinq adolescents de bonne famille épris de liberté commettent un crime sauvage.  Ils sont repris en main par le Capitaine, le temps d’une croisière répressive sur un voilier. Les garçons se mutinent. Ils échouent sur une île sauvage où se mêlent plaisir et végétation luxuriante. La métamorphose peut commencer…

Les Garçons sauvages
France, 2017
De Bertrand Mandico

Durée : 1h50

Sortie : 28/02/2018

Note : 

LA CONFUSION DES GENRES

Dans le paysage sage du jeune cinéma français, ce n’est pas peu dire que Les Garçons sauvages détone. Voilà en effet l’un des films les plus improbables et inclassables, dans ce que ces termes peuvent avoir de plus excitant, que l’on ait vus chez nous ces dernières années. Trop rares sont les cinéastes français (jeunes ou non) à accéder à l’une des plus hautes qualités artistiques : ne pas avoir peur du ridicule. Bertrand Mandico parait tellement peu se soucier d’avoir l’air ridicule, que son film décolle d’emblée du niveau de la mer avec une flamboyance rare. Encore mieux : ce sont les scènes les plus potentiellement risquées (avec érotisme au ralenti sur airs d’opéra – so sexy le spleen) qui se révèlent les plus pleines de grâce. Il n’y a pas que ce récit d’île merveilleuse qui semble sorti d’un grand coffre à jouet, c’est le film entier qui déborde de trouvailles, de jeu et d’audace.

Les Garçons sauvages garde joyeusement son cap unique, et c’est ce ludisme contagieux qui lui permet d’éviter de devenir assommant, ou de virer à la caricature trop branchée. Le film a en effet un pied dans le cinéma français le plus hype (de par son casting) et l’autre dans la tradition du roman d’aventures à la Jules Verne. S’il fallait lui trouver des corrélations, ce serait pourtant d’avantage du coté d’œuvres bien plus exotiques. On peut trouver ici des échos aux fantasmagories fiévreuses de Guy Maddin, de la poésie anarchiste et des métaphores sexuelles de Koji Wakamatsu, ou encore de l’étrangeté bricolée de certains clips de la période new wave. Et pourtant, le résultat final ne ressemble à rien d’autre qu’à lui-même.

L’imagerie homo-érotique ici à l’œuvre pourrait paraître bien désuète (des marins et éphèbes mi-Jean Cocteau mi-Pierre et Gilles) si elle n’était transcendée d’une part par une mise en scène trop inventive pour être dupe, et surtout par une idée géniale: faire jouer le rôles des garçons du titre, des petits cons tête-à-claques, par des actrices. Le résultat de cette pirouette est d’une telle évidence que rapidement, on ne la remarque même plus. Là encore, il est toujours question de jeu, mais cette fois dans ce que celui-ci peut avoir de plus transgressif. La mise en scène de Bertrand Mandico est transgressive dans sa manière d’assembler des langages et des effets a priori disparates. Le récit est tout autant transgressif, avec cette mise à mal d’une virilité arrogante. Le casting vient superposer une autre dimension provocante: à mesure du film, l’identité et le genre même des personnages est déconstruite, amalgamée, réinventée.

A notre retour de la Berlinale, nous parlions avec enthousiasme de la récurrence ce que nous nommions « les films de sorcière » (Pokot, Fluidø, Dakini…). Des films dans lesquels les réalisatrices inventaient non seulement des récits mais des mises en scène qui réinventaient le rapport homme/femme à travers des corps fantasmés, massacrés, ou encore invisibles. Les Garçons sauvages est certes signé d’un réalisateur mais il s’inscrit dans cette lignée. Le questionnement autour du genre n’y est pas qu’une expérience ludique, mais fait partie du processus même de mise en scène. C’est la surprise la plus puissante du film: alors même qu’il parait détaché de tout réalisme, il se révèle à la pointe des cette thématique on ne peut plus contemporaine.


>>> Les Garçons sauvages est visible librement sur le replay d’Arte jusqu’au 13/07/2021

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par Gregory Coutaut

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