Critique : Les Feux sauvages

Chine début des années 2000. Qiaoqiao et Bin vivent une histoire d’amour passionnée mais fragile. Quand Bin disparaît pour tenter sa chance dans une autre province, Qiaoqiao décide de partir à sa recherche.

Les Feux sauvages
Chine, 2024
De Jia Zhang-ke

Durée : 1h51

Sortie : 08/01/2025

Note :

LES CENDRES DU TEMPS

Qui aurait pu imaginer, il y a bientôt 20 ans, que la chemisette jaune pâle de Zhao Tao serait aussi inoubliable ? Lorsque l’actrice déambule à l’écran, portant le même vêtement, cette vision nous emporte au cœur d’un troublant et profond voyage dans le temps. Présenté en compétition au Festival de Cannes, Les Feux sauvages propose un triple voyage : dans la Chine en mutation de ces 25 dernières années, dans la vie de celles et ceux qui les ont vécues, mais aussi dans le cinéma-même de Jia Zhang-ke.

Jia Zhang-ke explique la génèse de ce singulier projet en indiquant avoir tourné des images sans but précis, dès le début du 21e siècle. Ce sont les scènes qui sont montées ensemble dans Les Feux sauvages ; des images documentaires saisies sur le vif – et pourtant ce passé proche semble déjà lointain. Les différents supports employés pour filmer les lieux et protagonistes, de 2001 à aujourd’hui, sont un autre moyen de mesurer le temps qui passe. Cette histoire de quelques individus est également une histoire de la Chine qui est aussi une histoire de cinéma.

En effet, en plus des images inédites, Jia Zhang-ke a pioché dans des séquences de ses propres films (de Plaisirs inconnus aux Éternels en passant par Still Life). Zhao Tao est à l’écran, ses rôles ne font plus qu’un. Elle est à la recherche d’un amour enfui et cette dimension métafilmique invite un vertigineux effet de réel dans Les Feux sauvages. Il y a presque une dimension de found footage dans ces images jusqu’ici non-utilisées, mêlées aux séquences de films déjà connus de Jia Zhang-ke (à quoi s’ajoute le vertige de ne plus vraiment distinguer ce qui tient de la citation ou de la reconstitution). Cet émouvant labyrinthe narratif et temporel pose sur les souvenirs et moments heureux du passé un voile d’étrangeté, comme s’il s’agissait d’existences secrètes finalement révélées.

Le côté journal filmique personnel donne aux Feux sauvages une allure de bilan du cinéma de Jia Zhang-ke. Les fictions plus radicales de ses débuts se mêlent à ses documentaires arty et à sa veine actuelle plus romanesque. Là encore, ce mélange de tonalités et sensations hétéroclites produit un surprenant effet inédit : voilà qui est familier, mais aussi étranger. La déshumanisation dépeinte hier prend une autre forme désormais. Les prouesses de robots de science-fiction imaginées hier sont aujourd’hui une réalité. Dans une impayable scène de comédie, Zhao Tao fait face à un robot qui se met à citer Mère Teresa et Mark Twain. C’est donc ça le futur, traversé depuis si longtemps par l’héroïne ?

D’une impressionnante ampleur, à la fois conceptuel et bouleversant, Les Feux sauvages se resserre sur QiaoQiao, fil rouge et cœur battant qui aura parcouru les époques, entendu les mêmes chansons sur les saisons au fil des ans, vécu des heures joyeuses puis la perte muette, tout cela incarné avec brio par une actrice qui est un trésor.

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par Nicolas Bardot

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