Les dorayakis sont de petits desserts traditionnels japonais, ils se composent de deux pancakes fourrés de pâte confite de haricots rouges « AN ». Tokue, une femme de 70 ans, va tenter de convaincre Sentaro, le vendeur de dorayakis, de l’embaucher. Tokue a le secret d’une pâte exquise et la petite échoppe devient un endroit incontournable…
Les Délices de Tokyo
Japon, 2015
De Naomi Kawase
Durée : 1h53
Sortie : 27/01/2016
Note :
MANGE PRIE AIME
Qui est cette vieille dame un peu lunaire qui a le sentiment que les feuilles des arbres, agitées par le vent, lui font signe ? On n’est en fait pas surpris par une telle scène dans le cinéma de Naomi Kawase, et les plans répétés sur les cerisiers en fleur dans Les Délices de Tokyo n’ont pas qu’un rôle d’illustration pour carte postale. La nature s’exprime au même titre que les humains chez la cinéaste, comme la pluie émotionnelle qui se déverse lors de la grande danse de Shara, comme les montagnes tombent amoureuses les unes des autres dans Hanezu. Ce motif est déplacé ici au cœur de la ville. Un homme dont la vie a été chaotique tient un petit commerce de dorayaki, une pâtisserie japonaise consistant en une sorte de petit pancake enveloppant de la pâte de haricot rouge. Les collégiennes s’arrêtent à la boutique et piaillent avant les cours, tandis que le train passe et repasse au loin. On a quitté l’île paisible où se déroulait le conte de vie et de mort qu’était Still the Water.
Les Délices de Tokyo raconte la rencontre entre cet homme, Sentarou (interprété par Masatoshi Nagase, vu notamment dans Suicide Club de Sono Sion ou Mystery Train de Jarmusch) et une dame âgée (incarnée par Kirin Kiki, habituée du cinéma de Kore-Eda et que Kawase retrouve après Hanezu). Celle-ci va l’aider à confectionner la meilleure pâte de haricot qui soit, celle qu’il confectionnera avec le cœur. Mièvrerie en vue ? Pas du tout. Il y a certes une vraie candeur dans les scènes les plus (apparemment) légères de Les Délices de Tokyo – cette légèreté de ton peut surprendre chez une cinéaste aux thèmes graves. Le rituel de la pâte de haricot rouge est religieux, et l’émerveillement qu’il procure sur l’héroïne rappelle l’extase des héroïnes de Shara découvrant les légumes de leur jardin. Mais Shara n’était pas un film Jardiland, et Les Délices de Tokyo n’est pas un spot de Cuisine TV.
C’est évidemment autre chose qui semble intéresser la cinéaste. Chacun a son chemin de vie, entend-on. C’est le cas de Sentarou, c’est celui de Wakana, jeune collégienne à la situation familiale délicate, c’est enfin celui de Tokue, adorable grand-mère qui cache un secret. Et qui, malgré ses mains abimées, remet avec la plus grande délicatesse sa barrette à cheveux lorsqu’elle ôte son bonnet de cuisine. Les Délices de Tokyo, qui débute comme une gentille fable, un projet plus modeste pour la cinéaste, finit par questionner le sens de l’existence. Par l’humanisme toujours débordant du regard que Kawase porte sur ses personnages. Par la poésie du monde invisible qu’elle suggère, celui des esprits qui poussent les vivants, des arbres qui ont une âme et des canaris qui chuchotent à l’oreille. Par ses fragiles images de nature, sans son, sans être humain, qui rappellent ses films en Super 8. Comme souvent chez la cinéaste, la précieuse récompense est là, dans un cinéma qui propose d’observer et écouter le monde – ainsi que les hommes – différemment.
>>> Les Délices de Tokyo est visible librement sur le replay d’Arte jusqu’au 21 juin, et est également disponible sur UniversCiné
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par Nicolas Bardot