Critique : Les Damnés

Hiver 1862. Pendant la guerre de Sécession, l’armée des Etats-Unis envoie à l’Ouest une compagnie de volontaires pour effectuer une patrouille dans des régions inexplorées. Alors que leur mission change de cap, ils questionnent le sens de leur engagement.

Les Damnés
Belgique, 2024
De Roberto Minervini

Durée : 1h29

Sortie : 12/02/2025

Note :

DE GUERRE LASSE

Les Damnés s’ouvre par une scène où l’on peut voir des loups, au petit matin, rassemblés autour de la dépouille d’un animal qu’ils dévorent. Ce moment d’une grande puissance picturale dresse avec éloquence le décor profondément sauvage du nouveau long métrage de Roberto Minervini (qui signe ici sa première fiction après des documentaires tels que What You Gonna Do When the World is on Fire ?). Les Damnés suit le parcours d’une troupe de soldats qui, durant la Guerre de Sécession, sont envoyés en reconnaissance dans une région inexplorée de l’Ouest. Mais, au moins autant que ce vaste monde, il y a autre chose qui reste inconnu pour les soldats eux-mêmes : la raison pour laquelle ils sont sur le front.

Si nous sommes en plein décor de western, si l’on peut en reconnaître des motifs, Minervini choisit de contourner les figures attendues du roman national. Pas de charge héroïque ici – un gamin qui s’est engagé dans l’espoir de devenir un héros au combat semble considéré avec circonspection par les hommes qui l’entourent (« Je te souhaite que ça reste toujours aussi simple », commente-t-on plus tard). Ces soldats ont fait de la route, certains ont la gueule cassée ; ils n’avalent plus les balivernes sur la mission divine ou le bien contre le mal. Les antihéros des Damnés se cachent, pleurent, ou cherchent à voir un bon signe lorsqu’ils entendent un rouge-gorge chanter.

Roberto Minervini, la plupart du temps, ne raconte pas de hauts faits spectaculaires et s’inscrit davantage dans la tradition plus contemporaine de westerns contemplatifs où, à l’opposé de conquérants flamboyants, les protagonistes sont avant tout perdus dans un no man’s land. Le cinéaste, primé pour sa mise en scène à Un Certain Regard, effectue un remarquable travail formel avec ce choix d’avoir régulièrement un personnage net, et un décor ou des compagnons flous autour de lui. Ce monde autour est flou, et cet isolement saisit au mieux la vérité des personnages errant dans des déserts dénudés, d’un désert de poussière à un désert blanc.

Minervini déjoue également les attentes lorsqu’une attaque arrive enfin, mais que celle-ci se déroule dans une désorganisation totale. On apprend certes à bien se servir de son arme, mais lorsque la menace surgit c’est avant tout le chaos qui règne, traduit par une caméra à l’épaule placée parmi les hommes. L’ennemi demeure invisible, pas tant parce qu’il serait inhumain que parce qu’il reste une figure abstraite face à des soldats qui ne savent pas pourquoi il se battent. Si le destin de certains est funeste, la dédramatisation de l’écriture ne fait pas de ses personnages des figures sacrificielles – ce qui constituerait une autre manière de sacraliser les films de guerre. C’est quelque chose de plus tristement banal qui semble travailler Les Damnés – des garçons qui se retrouvent là, nulle part, à faire le guet pour ne rien y voir.

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par Nicolas Bardot

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