Festival de Locarno | Critique : Le Moineau dans la cheminée

Karen et Markus vivent avec leurs enfants dans la maison familiale de Karen, un endroit idyllique à la campagne. Pour l’anniversaire de Markus, la sœur de Karen, Jule, arrive avec sa famille. Les deux sœurs ne pourraient pas être plus différentes. De sombres souvenirs de leur mère décédée renforcent l’envie de Jule de se rebeller contre le régime de sa sœur. Alors que la maison se remplit de plus en plus de vie, la tension monte chez Karen jusqu’à ce que tout se transforme en un enfer ardent. Un enfer qui détruit l’ancien pour créer le nouveau.

Le Moineau dans la cheminée
Suisse, 2024
De Ramon Zürcher

Durée : 1h57

Sortie : –

Note :

ÇA BRÛLE

Dans le nouveau film du Suisse Ramon Zürcher (lire notre entretien), un moineau se retrouve coincé dans la cheminée, comme l’indique le titre. Cette métaphore d’un drame familial domestique pourrait être trop plaquée, trop évidente – Zürcher l’évacue promptement puisque l’oiseau est très vite libéré. Il s’agit là d’un possible et d’une ouverture, plus que d’une allégorie aux traits bien définis. La trilogie animalière des frères Zürcher (dont L’Étrange petit chat et La Jeune fille et l’araignée, découverts à la Berlinale, sont les premiers volets) ne parle que d’humains : les personnages sont nombreux, se rendent visite ou participent à un déménagement. Au va-et-vient entre les cartons de La Jeune fille et l’araignée succèdent les arrivées familiales dans la maison de vacances du Moineau dans la cheminée.

Et cette maison est superbe, nichée dans des bois de conte de fées. La lumière est merveilleuse, estivale, elle rayonne à travers les arbres, les fenêtres (jusqu’aux hublots d’avion). On peut entendre les cigales et les oiseaux, mais il y a rapidement quelque chose qui cloche dans ce tableau idyllique. Un clébard aboie de manière insistante, tandis que quelqu’un commente : « ces oiseaux ne chantent pas, ils crient ». Plus tard, terreur : c’est même une poule décapitée qui tombe du ciel. Comme dans les précédents films de Zürcher, la maison est dépeinte comme le territoire de l’inconscient familial. C’est un lieu à la fois apprivoisé et sauvage. On essaie d’y observer des règles de bienséance, mais il est évident que toute la famille cache quelque chose dans Le Moineau dans la cheminée.

Qu’est-ce qui ne va pas chez maman ? Karen, incarnée par l’excellente Maren Eggert, a l’humeur sombre, les épaules voutées comme une ado. Les rôles familiaux semblent redistribués quand les gamins sont aux fourneaux tandis que Karen erre comme un spectre. Voilà une dimension remarquable du Moineau dans la cheminée, où le drame réaliste grimace peu à peu jusqu’à l’horreur gothique. Les mains en sang donnent un indice tandis que le fantôme de grand-mère hante les murs et possède ceux qui habitent la demeure. Le film est comme une surprenante version maison hantée d’une pub Ricoré, où une vision horrifique peut surgir dans un enchainement de plans à la lumière léchée et chaleureuse.

La violence suggérée dans Le Moineau est de plus en plus explicite. La maltraitance est de plus en plus évidente, jusqu’au malaise. Même tue, la violence est transmise. Tout circule dans la maison et la famille – les pulsions violentes comme les pulsions érotiques (à l’image des autres films des Zürcher, il y a toujours quelqu’un dans l’embrasure d’une porte pour épier). La tension enfle jusqu’à faire du surplace, et se précipite un peu dans le dernier acte – la structure du Moineau nous a semblée plus bancale que dans les précédents films du cinéaste.

Il y a, en contrepartie, une générosité chaotique très appréciable. Le Moineau dans la cheminée compose un portrait familial aussi brillant que malpoli (« J’espère qu’elle s’étouffera avec ! », souhaite-t-on à quelqu’un au sujet de ses biscuits favoris), où le chaos est désiré, rêvé, et d’une certaine manière réalisé. Karen sort d’elle-même, notamment lors d’une scène où sa silhouette est triplée à l’écran. Elle sort de la maison, sort de la famille et s’émancipe seule lors d’un décrochage enfin apaisé. Toxiques les uns pour les autres, les membres de la famille forment une structure dont il faut se méfier, avec laquelle il faudrait garder une distance de sécurité. Dans la maison, on retrouve l’eau troublée dans le vase à fleurs, les objets et photos qui racontent une histoire (une fiction ?). Tout est à sa place et rien n’est à sa place. Mais « une maison, ça doit respirer aussi » entend-on – voilà qui devrait s’appliquer également à celles et ceux qui l’occupent.

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par Nicolas Bardot

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