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Années 70. Depuis son village de haute-montagne, Jeanne, 15 ans, rêve de quitter l’orphelinat de son enfance et découvrir le monde. Fuguant vers la ville de lumières, elle trouve refuge dans un hangar. Au matin, lui apparaît la Reine des Neiges, éblouissante. Le hangar se révèle être un studio où se tourne un film adapté du conte. Cristina, la star, qui incarne la Reine, règne sans partage sur le plateau. Fascinée par cette femme cruelle au charme trouble, à la fois puissante et vulnérable, Jeanne devient sa protégée et sa confidente alors que le piège se referme sur elle.
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La Tour de glace
France, 2025
De Lucile Hadzihalilovic
Durée : 1h58
Sortie : 17/09/2025
Note :
LE FEU SOUS LA GLACE
Vaste est le premier mot prononcé dans La Tour de glace, nouveau long métrage de la Française Lucile Hadzihalilovic. Vaste est un mot qui correspond bien aux mondes secrets et aux nuits profondes qui peuplent sa fascinante filmographie, d’Innocence à ce dernier film. Vaste est l’imaginaire, vaste est la solitude aussi, notamment celle de Jeanne, 16 ans, héroïne de La Tour de glace. Triplement au bord du monde (dans un orphelinat, dans un village, en haute montagne), Jeanne s’enfuit et comme tous les personnages d’Hadzihalilovic, elle va emprunter des chemins sombres péniblement éclairés par quelques lumières.
Lucile Hadzihalilovic a toujours chéri la pénombre, et ce que la lumière dessine en elle. C’est presque comme si l’œil devait s’adapter avec patience et attention pour discerner chaque détail de ses riches images. De la même manière, la gestion prodigieuse du rythme invite le public à se plonger dans son univers, comme si la cinéaste, par magie, avait le pouvoir de ralentir notre rythme cardiaque. Ainsi qu’elle l’expliquait lors de notre entretien réalisé pour Earwig : « il fallait qu’on soit embué dans la lenteur que les personnages vivent ». Jeanne regarde, s’approche d’une patinoire où les belles attitudes sur la glace rappellent les exercices gracieux de GRS dans Innocence. Plus tard, Jeanne regarde encore, entre deux palissades, partageant avec les spectatrices et spectateurs ce sentiment très représentatif du cinéma d’Hadzihalilovic : celui de découvrir un mystère par le trou de la serrure.
Ce qu’on voit est pourtant démultiplié dès le générique de début de La Tour de glace : des reflets de flocons qui semblent scintiller dans un kaléidoscope. Tout se démultiplie dans La Tour de glace : ce n’est pas trop déflorer l’intrigue que de dire que Jeanne va se retrouver par hasard sur le tournage d’un film, dans un studio perdu quelque part. C’est un film de traversées : Jeanne qui prend une autre identité (et qui emprunte un prénom, Bianca, déjà porté par l’une des jeunes héroïnes d’Innocence), Jeanne qui traverse le miroir, Jeanne qui partage le monde de son héroïne (la Reine des neiges, interprétée par Marion Cotillard au jeu magnétique). La Tour de glace explore l’increvable pouvoir de fascination des contes, mais aussi le pouvoir de fascination de l’image et du cinéma. Le conte est ici un film, le décor de conte un plateau de cinéma, et la garde-robe de la reine un dressing de tournage.
Cette mise en abime vient naturellement effacer la frontière entre le réel et la fiction. Dans notre critique de Reflet dans un diamant mort du duo Cattet et Forzani, également dévoilé en compétition de la Berlinale, nous parlons d’un hommage à ce qui se trouve sur un écran de cinéma et à ce qui en sort. On peut faire la même remarque sur La Tour de glace, un film où l’on se plonge amoureusement dans la fiction, où l’on s’y confronte, où l’on trouve du réconfort, où l’on contemple ses dangers et à partir duquel on grandit. La reine glacée par sa coiffure évoque la fée Delphine Seyrig, l’affiche des Chaussons rouges semble accrochée pour l’éternité en haut d’un escalier tandis que le moment où la jeune héroïne qui semble géante à côté d’une maquette de film pourrait venir, presque tel quel, d’une scène de fantasme nocturne dans un épisode de Freddy.
Dans La Bouche de Jean-Pierre comme dans Innocence, Earwig ou La Tour, on mesure les dangers encourus par les jeunes filles. Mais il y a une force aussi, chez les personnages d’Hadzihalilovic, à se poser au bord du vide, à regarder au plus profond, à s’y faire peur. Seules dans leurs royaumes, les jeunes héroïnes de la cinéaste ont l’air de vivre des aventures de poche aux péripéties minimalistes, mais affrontent pourtant des nuits absolument vertigineuses. La précieuse réalisatrice, dont le cinéma n’a rien perdu de sa qualité hypnotique et sa capacité à ouvrir l’imaginaire, nous invite dans cette étrange boule à neige et signe une nouvelle merveille envoûtée et envoûtante.
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par Nicolas Bardot