L’Étrange Festival | Critique : La Jeune femme à l’aiguille

Copenhague, 1918. Karoline, une jeune ouvrière, lutte pour survivre Alors qu’elle tombe enceinte, elle rencontre Dagmar, une femme charismatique qui dirige une agence d’adoption clandestine. Un lien fort se crée entre les deux femmes et Karoline accepte un rôle de nourrice à ses côtés.

La Jeune femme à l’aiguille
Danemark/Pologne/Suède
De Magnus von Horn

Durée : 1h55

Sortie : prochainement

Note :

SUCRE AMER

Des monstres aux visages terrifiants : l’introduction de La Jeune femme à l’aiguille donne à voir d’effrayants masques aux rictus possédés, surgissant de la pénombre comme si l’on avait pris place dans un train fantôme. Il ne s’agit pourtant que de simples visages humains, sans prothèses ou maquillages, rendus inquiétants par un effet de superposition. Cette fragile bascule est au centre du nouveau film réalisé par le Suédois Magnus von Horn, qui surprend ici après avoir signé deux films beaucoup plus sages (Le Lendemain et Sweat). La Jeune femme… est une adaptation de fait divers, pourtant nous sommes semble t-il en plein film d’horreur.

Magnus von Horn, plus que d’horreur, parle au sujet de La Jeune femme à l’aiguille d’un « conte pour adultes ». Un conte, et toute la perspective allégorique qu’il offre sur le réel. Une jeune et vulnérable héroïne croise la route d’un prince charmant, d’un ogre et d’une sorcière – pas de fée ici car le conte est noir, sans lumière du jour. C’est une descente aux enfers à bord d’un ascenseur qui s’enfonce dans les ténèbres, encore, encore et encore. La Jeune femme à l’aiguille donne initialement l’illusion qu’il va être un film historique et « à sujet », que tout ceci est attendu, mais l’écriture comme la mise en scène surprennent en privilégiant la dimension grand-guignol et gothique. On a régulièrement l’impression de se promener au cœur d’une bande dessinée de Thomas Ott, dans ce noir et blanc à la fois superbe et intranquille (la photographie signée Michal Dymek est une fois de plus extraordinaire).

Karoline, au lendemain de la Première Guerre Mondiale, vit dans un total dénuement. Elle est seule, autour d’elle les hommes sont faibles et humiliés, ce sont des lâches, soit des fils à papa, soit des estropiés. Karoline rencontre une femme qui peut l’aider, une femme qui aide ceux que personne n’aide. Victoria Carmen Sonne, dans le rôle principal, fait des miracles. Celle qu’on a pu découvrir dans le rayonnant soleil de Holiday réalisé par Isabella Eklöf est absolument méconnaissable sous les traits de cette héroïne aux grands yeux intenses et las. Face à elle, la charismatique Trine Dyrholm, à la fois maternelle et inquiétante, trouve la bonne mesure de ce personnage plus grand que nature.

Qu’est-ce qui pousse des hommes ou des femmes à abandonner leur humanité ? Qu’est-ce qui rend dingue, à quel moment se résigne t-on à monter dans la grimaçante caravane du freakshow qui hante et traverse La Jeune femme à l’aiguille ? Magnus von Horn filme des femmes qui décident et agissent, mais même cela n’est pas suffisant face à un système qui se pose contre elles. Les protagonistes basculent, deviennent des monstres. L’heure n’est pas aux sentiments, plutôt à la cruauté – ce n’est pas tant celle du cinéaste que celle du quotidien et de ses épreuves. Les ombres et les silhouettes sont dramatiques, l’utilisation du son et de la musique est impressionnante. « Vous êtes une femme courageuse », dit-on à l’héroïne. La Jeune femme à l’aiguille n’est pourtant pas un portrait de mère courage, il n’y a pas de bons sentiments ici – que des mauvais dans cet étourdissant cauchemar.

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par Nicolas Bardot

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