Ingrid et Martha, amies de longue date, ont débuté leur carrière au sein du même magazine. Lorsqu’Ingrid devient romancière à succès et Martha, reporter de guerre, leurs chemins se séparent. Mais des années plus tard, leurs routes se recroisent dans des circonstances troublantes…
La Chambre d’à côté
Espagne, 2024
De Pedro Almodovar
Durée : 1h47
Sortie : 08/01/2025
Note :
LA BEAUTÉ DU GESTE
C’est devenu une sorte d’arlésienne : on a pu au fil des années entendre parler de divers projets en anglais censés être dirigés par Pedro Almodóvar, sans que ceux-ci ne se concrétisent. A l’arrivée, il n’y a eu que deux courts métrages (La Voix humaine, déjà avec Tilda Swinton, et plus récemment Strange Way of Life) qui ni l’un ni l’autre ne resteront vraiment comme des œuvres marquantes dans sa filmographie. Ce n’était nullement une fin en soi, mais voici donc La Chambre d’à côté, tourné avec une distribution anglophone et adapté du roman Quel est donc ton tourment ? de la New-Yorkaise Sigrid Nunez – autrice qu’on connaît davantage pour son remarquable L’Ami édité en France en 2019.
La Chambre d’à côté est une adaptation à la fois fidèle et libre du texte de Nunez. Fidèle car Almodóvar transpose avec talent la fluidité du style de l’écrivaine à l’esprit brillant, dont l’écriture relie avec finesse l’intime, l’universel et l’anecdote dans des récits où la culture occupe une place primordiale. Libre, car le courant de pensées de Quel est donc ton tourment ? était relativement complexe à traduire en images – Almodóvar s’est ainsi plus spécifiquement concentré sur Ingrid (Julianne Moore), Martha (Tilda Swinton) et le singulier pacte qui les unit. Ingrid « refuse que les choses vivantes meurent » ; elle va devoir assister son amie dans la mort.
Madres paralelas, précédent long métrage de l’Espagnol, regardait la mort en face de manière métaphorique. Ici, le point de vue est très différent. Alors que l’euthanasie a été légalisée en Espagne depuis 2021, Almodóvar traite, de l’autre côté de l’Atlantique, du droit à choisir sa fin de vie. On raconte ce qui se passe en secret, derrière la porte (et Almodóvar filme de multiples surfaces transparentes, fenêtres ou baies vitrées). C’est un film subtilement politique sur l’autodétermination, mais c’est aussi un film sur ce qui échappe au contrôle : les émotions ou les souvenirs. Voilà qui ouvre la porte au mélodrame, où l’hyperbole vient traduire le réel et où la mémoire peut être mise en scène comme une peinture d’Andrew Wyeth.
Almodóvar n’a jamais vraiment été un cinéaste du pur réalisme mais la réalité des émotions, dans son cinéma, trouve son chemin à travers l’artifice. La Chambre d’à côté ne s’en cache pas et le long métrage est d’une admirable élégance : on ne différencie plus maison ou œuvre d’art, les chambres d’hôpitaux sont superbes, les protagonistes semblent vivre dans l’appartement de La Corde avec sa spectaculaire vue sur New-York – et jamais vous n’avez vu un tiroir dérangé aussi bien rangé que chez Almodóvar. La mort elle-même, choisie et dramatisée, devient elle-même une œuvre d’art (filmée par le cinéaste) et une performance (interprétée par Martha).
Comme Nunez, Pedro Almodóvar raconte en creux le pouvoir salvateur de l’art (la poésie que l’on lit, les films que l’on voit, les texte que l’on écrit) et de manière plus générale le pouvoir salvateur de la beauté. Voilà qui est nécessaire dans un monde où la balance entre espoir et absence d’espoir devient de plus en plus fragile – l’apocalypse frappe à la porte mais ses flocons sont d’un rose séduisant. Si le flux de pensées du livre est ici canalisé, le film place le personnage de Julianne Moore dans une position de spectatrice parfois difficile à cerner. L’amitié de deux femmes sexagénaires, quand bien même icônes glamour comme Swinton et Moore, est néanmoins un motif suffisamment (et anormalement) rare à l’écran pour être noté et apprécié. Elles élèvent La Chambre d’à côté avec le talent qu’on leur connaît tandis qu’Almodóvar réussit à mettre en scène, à partir de thèmes sombres, un film aussi lumineux que chaleureux.
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par Nicolas Bardot