Critique : Kusama Infinity

Kusama : Infinity est une ode au parcours semé d’embuches de celle qui est devenue aujourd’hui l’artiste femme la plus reconnue au monde. Fuyant son éducation conservatrice dans un petit village japonais, traumatisée par une famille dysfonctionnelle et les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, Yayoi rejoint les États-Unis en 1957. Étrangère, inconnue et sans attache, elle s’y investit corps et âme dans l’expression d’une créativité longtemps bridée par sa famille. Ne pesant rien dans un monde de l’art aux mains de quelques barons, elle surmonte un à un les préjugés : racisme, sexisme, stigmatisation des maladies mentales et, bientôt, les difficultés liées à son âge…

Kusama : Infinity
États-Unis, 2018
De Heather Lenz

Durée : 1h16

Sortie : 18/09/2019

Note :

LA REINE AUX PETIT POIS

Pour son premier long métrage, la documentariste Heather Lenz s’est attaquée à un monument. Et le Japonaise Yayoi Kusama constitue un sujet en or, avec son formidable storytelling qui l’a vue passer de l’avant-garde artistique lors de ses débuts particulièrement difficiles à une gloire populaire de son vivant, tout en n’ayant fait aucun compromis sur son art. Le film débute en un scintillement : celui des installations vertigineuses de Kusama comme celui de la naissance de son talent. Lenz retrace sa vie et le documentaire est certes très/trop classique (interviews, photos en fondus enchainés, musique superflue). Mais son sujet est tellement fort qu’il fait oublier ces conventions.

Kusama Infinity explore les différentes et passionnantes dimensions de l’artiste. Sa dimension subversive évidemment : elle est une artiste qui, femme et racisée, ne peut à ses débuts pas être prise au sérieux dans un système avant tout dédié aux artistes masculins blanc et si possible occidentaux. Lenz retrace une époque où une femme peut éventuellement être incluse dans une exposition collective, mais certainement pas individuelle. Elle raconte la Kusama pionnière, son œuvre naissante dans un Japon très conservateur et patriarcal ; son arrivée à New York, un fait assez inédit pour une personne japonaise à l’après-guerre.

Lenz rend compte également de la dimension politique de Kusama, son art iconoclaste et son implication lors de la guerre du Vietnam. Sa dimension queer enfin, avec ses happenings de danseurs gay et les premiers mariages pour tous célébrés par… Kusama elle-même. Le film dépeint ses conquêtes, ses échecs et ses reconquêtes. L’inscrit également dans l’histoire de l’art en racontant l’admiration de Kusama pour Georgia O’Keeffe, ou comment elle a pu être tranquillement pillée par des artistes masculins alors plus en vue (comme Claes Oldenburg ou même Andy Warhol).

L’artiste parle, pour décrire son œuvre, d’« énergie de la vie transformée en pois ». Le documentaire saisit cette énergie avec cette artiste qui a passé sa vie à repousser les limites, comme elle repousse aujourd’hui l’espace vers l’infini dans ses installations. Et de persona non grata à la Biennale d’art contemporain de Venise dans les années 60 à représentante officielle du Japon en 1993, le film nous fait partager sa trajectoire émouvante et hors du commun.

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par Nicolas Bardot

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