Kaili, province de Guizhou en Chine. Deux médecins soucieux vivent comme des fantômes dans une petite clinique. Mais un jour, l’un d’entre eux, Chen Seng, décide d’accomplir la dernière volonté de sa mère décédée et s’embarque pour un périple en train à la recherche de l’enfant que son frère a abandonné. Sa collègue de la clinique, une vieille dame seule, lui demande d’apporter une vieille photo, une chemise et une cassette à son ancien compagnon, gravement malade. En cours de route, Chen passe par la curieuse petite ville de Dangmai, où le temps n’est pas linéaire et où les vies des habitants se complètent l’une l’autre. Il s’y arrête et y fait l’expérience de vivre son passé, le présent et l’avenir…
Kaili Blues
Chine, 2015
De Bi Gan
Durée : 1h50
Sortie : 23/03/2016
Note :
UNE MERVEILLEUSE HISTOIRE DU TEMPS
Doublement primé au Festival de Locarno, Kaili Blues est réalisé par Bi Gan, même pas 30 ans, et il s’agit de la révélation chinoise la plus éclatante depuis des lustres. Kaili Blues raconte le rite initiatique et mystique d’un médecin parti à la recherche de son neveu. Son parcours sera plus surprenant que prévu, à l’image d’un film qui saura vous faire écarquiller les yeux. Kaili Blues prend rapidement ses distances avec le drame social chinois réaliste auquel on est davantage habitué et le surréel s’invite dès le générique de début diffusé… sur un écran de télévision, posé dans le cadre.
Cette mise en abyme comme une mise à distance du réel se retrouve tout au long du film qui mêle le quotidien à la mémoire, la présent au passé, les souvenirs et ce qu’on en fait aujourd’hui, et le temps que les personnages essaient de remonter. Ici, la caméra s’avance vers le visage du héros, puis recule, et l’on ne distingue plus le réel du songe. Là, un flash-back délicat s’immisce dans la narration. C’est « comme dans un rêve » entend-on lors de Kaili Blues. La mise en scène gracieuse de Bi Gan invite l’onirisme, comme ses différents pano à 360° incitent à la contemplation. Du poste de radio qui crachote sortent les nouvelles d’un fait divers banal qui pourtant convoque l’extraordinaire et le surnaturel.
Ce mélange de tons est surprenant et permet surtout d’aborder le réel autrement. Bi Gan est poète (et a écrit les poèmes que l’on entend pendant le film) et c’est ce traitement poétique de la vie qui renverse. Il y a chez d’autres cinéastes des plan-séquences qui sonnent comme des démonstrations de force. Et puis il y a celui, incroyablement beau, en forme de lévitation poétique, qui prend place dans le film durant une quarantaine de minutes. On suit le personnage principal puis on le perd, la caméra s’aventure où elle veut comme un esprit qui parcourt la ruelle, descend la montagne, traverse le fleuve. Cette longue séquence prodigieuse est un des plus splendides moments de cinéma vus sur un écran ces dernières années. Kaili Blues parle beaucoup de personnages qui remontent le temps, retrouvent le passé, lui font des offrandes: Bi Gan, parvient lui à arrêter le temps et le suspendre de manière époustouflante.
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par Nicolas Bardot