Jeanne, une jeune femme timide, travaille comme gardienne de nuit dans un parc d’attraction. Elle vit une relation fusionnelle avec sa mère, l’extravertie Margarette. Alors qu’aucun homme n’arrive à trouver sa place au sein du duo que tout oppose, Jeanne développe d’étranges sentiments envers Jumbo, l’attraction phare du parc.
Jumbo
Belgique, 2020
De Zoé Wittock
Durée : 1h33
Sortie : 01/07/2020
Note :
L’OBJET DE MON AFFECTION
Les premiers plans de Jumbo montrent sans fard la nudité de Jeanne. Son corps est celui d’une jeune femme et pourtant, une fois vêtue, Jeanne redevient une petite fille. Cela tient à son comportement, de fille-à-maman pétrifiée de timidité et de malaise, mais aussi à son langage corporel. Enfouie sous des fringues moches et informes de préado mal dans sa peau, Jeanne ne semble pas prête du tout à ce qu’un regard désirant se pose sur elle, et surtout pas celui du playboy relou qui lui sert de collègue. Cette curieuse illusion autour de son âge exact repose sur un sens du détail particulièrement crédible (cette coiffure impossible de vieille fillette !) et bien sûr également sur le talent de Noémie Merlant, qui crève l’écran une fois de plus.
Jeanne a beau ne pas être prête, elle a bel et bien a l’âge de tomber amoureuse, et c’est ce qui lui arrive. Mais, très loin de ce qu’espère sa mère (ou la société entière ou la normalité-même), son amour ne se porte ni sur un garçon ou sur une fille, mais sur un très grand manège à sensation du parc d’attractions où elle travaille. Un objet si grand qu’elle a l’air de rapetisser encore plus face à lui. Un objet inanimé face auquel son cœur et son corps s’animent enfin. Un objet phallique et pourtant plein de formes rondes. Un objet asexué, dont le nom est lui-même asexué, mais qui participe mine de rien au sous-texte très queer du film.
Comme si cette idée de départ n’était pas suffisamment abracadabrantesque, la réalisatrice Zoé Wittock prend le parti de la filmer avec le plus grand réalisme. Ce n’est ni le moindre ni le dernier des contrepieds ici à l’œuvre. Gonflé, Jumbo l’est en effet par son refus de choisir entre l’ultra-réalisme et la folie onirique, entre les très écrit (voir le un peu trop écrit – comme ce personnage de maman folle du cul sortie d’un apprenti-Dolan) et le tout-par-l’image, comme ce splendide hommage central à Under the Skin.
Ce jeu d’équilibre n’est peut-être pas toujours parfaitement stable. Face aux très séduisantes scènes muettes où Jeanne est frappée d’une extase contagieuse sur son manège (ces pauses dans la trame du récit, où l’on décolle en même temps que Jeanne, sont les meilleurs moments du film), il y a un peu trop de dialogues explicatifs, où les personnages parviennent trop facilement à expliquer ce qu’ils ressentent – alors même qu’ils sont face à l’inexplicable. Le film peut d’ailleurs presque se lire comme une métaphore de la foi, ou encore d’une grave addiction – jumbo signifiant d’ailleurs crack en anglais. « Parle un peu, je ne suis pas sûr de bien comprendre » demande-t-on à Jeanne – alors qu’on préférerait justement un peu plus de silence mystérieux. Malgré une forme un peu sage, ou peut-être paradoxalement grâce à elle, Jumbo demeure un film curieusement subversif.
Crédit photo : Caroline Fauvet
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par Gregory Coutaut