LE LIVRE D’IMAGES

Dans un geste qui rappelle L’Image manquante et ses figurines, Irradiés s’ouvre par la confection d’une petite maison de poupées, minutieusement assemblée à la main. Mais à l’image manquante de son documentaire primé à Cannes en 2013 succède un déluge d’images dans son nouveau film présenté en compétition à Berlin. Hiroshima, Hanoi, Nankin, Verdun ou le Rwanda, autant de lieux où l’humanité a été irradiée, autant de laboratoires du mal. Le film est pour l’essentiel un montage d’images d’archives sur les crimes de masse les plus horribles commis par l’homme au siècle dernier.

Panh, lui-même survivant (mais qui se définit plus comme vivant que comme survivant), a consacré son oeuvre à la mémoire du mal. On croit avoir déjà vu certaines de ces terribles images ? « Regarde encore une fois, cent fois » nous dit la voix-off. L’écran divisé en trois juxtapose trois images en polyvision, celles-ci se répondent parfois ou répètent souvent la même image : regarde, regarde encore. Ce procédé a des airs d’une installation qui nous entoure et qui capte le regard à moins qu’on finisse devant les horreurs montrées par baisser les yeux.

Il faut voir les murs de visages qui se prolongent d’un écran à l’autre, les images cauchemardesques et concrètes tandis que « l’abstraction ouvre sur la mort ». Panh montre les cicatrices qui restent sur et dans la peau ; à travers elles c’est l’« âme du monde blessée » qui est au coeur d’Irradiés. Dans son long métrage, le cinéaste cherche à « traverser et comprendre les formes du mal », tout en donnant à voir des violences d’une horreur incompréhensible.

Des danseurs de buto servent de relais émotionnels. Quelques silhouettes fantômes mises en scène, quelques objets comme des souvenirs, quelques fleurs déposées. « Je n’aurais pas fait ce film si je n’étais pas optimiste », commente le cinéaste. Si « le mal irradie et blesse jusqu’aux générations futures », Irradiés prend la forme d’un cri : un cri d’espoir et un cri pour conjurer le malheur comme le confie Panh. C’est un témoignage terrassant, qui cherche dans l’histoire et les poèmes, qui a sa place dans des galeries d’art contemporain, dans des salles de cinéma, dans des salles de classe – partout. Et qui illustre la puissance d’un cinéaste qui dit « ne pas vouloir filmer en paix ».

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