Armin vogue d’échecs professionnels en déceptions sentimentales. Il n’est pas vraiment heureux, mais ne peut pas s’imaginer vivre autrement. Un matin il se réveille : si le monde semble inchangé, tous les êtres humains se sont volatilisés. Robinson Crusoé des temps modernes, Armin prend alors un nouveau départ. Cette liberté totale lui donne des ailes, mais tout ne se passe pas comme prévu…
In My Room
Allemagne, 2018
De Ulrich Köhler
Durée : 2h00
Sortie : 09/01/2019
Note :
L’HOMME QUI N’ÉTAIT PAS LA
« In My Room », c’est à dire « dans ma chambre ». C’est ce que pourrait dire Armin qui a du mal à trouver sa place au travail, avec les filles, avec sa famille. Un grand garçon qui donne l’impression de ne jamais vraiment être là, d’avoir envie de rester détaché des autres. Comme un adolescent qui aurait écrit « ne pas déranger » sur sa chambre d’ado tout le temps fermée. Vivre coupé du monde, être retranché dans sa solitude, voilà quelque chose de propre aux personnages des films de l’École de Berlin, dont Ulrich Köhler (lire notre entretien) a été l’un des meilleurs représentants. Des personnages souvent fantomatiques (parfois au sens propre), prisonniers de leur incapacité à interagir avec les reste du monde.
In My Room commence par un gag. En plein direct pour la télé, Armin éteint sa caméra au lieu de l’allumer et vice versa. Le ton est léger mais en filigrane, l’idée est déjà présente : Armin n’est pas vraiment avec les autres. Le soir-même, incapable de demander à une fille de bien vouloir rester, il se retrouve seul dans sa chambre. A son réveil, tout le monde autour de lui à disparu. Ce pitch à la Richard Matheson ferait les belles heures de La Quatrième dimension. Mais il rappelle surtout – est-ce un hasard ? – un roman clé de la littérature germanophone : le superbe Mur invisible de Marlen Haushofer, dans lequel une femme se retrouvait coupée du monde par un dôme invisible.
Le fantastique a toujours eu sa place dans l’Ecole de Berlin, et particulièrement chez Köhler, où le réalisme le plus intransigeant se teinte souvent d’inquiétante etrangeté. Du surgissement d’un hôtel fantasmagorique dans les bois de Montag, à la concrétisation des légendes dans la jungle de La Maladie du sommeil, Kohler a toujours eu un tour de main saisissant pour faire débouler dans le cadre des décors mystérieux. Et chez lui, la perte de repère mène à la perte d’identité, que celle-ci soit subie ou, le plus souvent, désirée.
Si la mise en scène des précédents films de Köhler donnait l’impression d’être très découpée et chorégraphiée, il semble au contraire capter le quotidien d’Armin sur le vif, avec – paradoxalement – un certain naturalisme. La survie d’Armin n’est ni idyllique ni catastrophique. De fait, In My Room quitte rapidement le terrain du film catastrophe, et même du film fantastique, pour virer à une sorte d’almanach champêtre, dépourvu de dialogues dans sa majeure partie. Armin se retrouve seul, et retrousse ses manches. Il se construit une vie avec une dextérité insoupçonnée. Lui qui ne savait pas faire marcher une caméra, le voilà qui construit un moulin à eau et laboure des champs. Le voilà accompagné d’un chien, d’un cheval, de toute une ménagerie. De pauvre garçon, Armin devient un cowboy, un homme des bois indépendant et fort.
Mais sur ce quotidien plane quand même un vertige, un étrange nuage. Cela n’est jamais dit dans le film, il n’y a pas d’indice flagrant qui aille dans ce sens, mais on pourrait tout aussi bien se demander si tout cela ne se passe pas uniquement dans sa tête. Dans son monde où il vit seul, Armin est le roi, comme un ado pourrait être le roi dans sa chambre. « In my room », c’est à dire dans mon royaume, mais aussi dans mon lit où je rêve (au sens propre?) que je suis meilleur que je ne le suis, que je me sors de toutes les situations, même les plus improbables.
In My Room peut se lire comme un rêve, mais aussi comme la plus ultime des fuites en avant. On pourrait d’ailleurs presque voir le film comme la suite de Bungalow, le premier long métrage de Köhler où, à force de se dérober au regard des autre, le jeune protagoniste finissait par disparaître. C’est la dimension sans doute la plus inattendue du film : ce commentaire poignant sur l’égo masculin, sur la peur de la solitude, les fantasmes de virilité et la difficulté à communiquer ses sentiments. Déjà dans Le Mur invisible, la solitude de l’héroïne était prétexte à une reflexion sur la condition féminine. Armin n’est pas prisonnier que de son isolement, il est aussi prisonnier de sa condition d’homme incapable de savoir comment s’épanouir autrement que dans un fantasme vain et puéril de Robinson solitaire.
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par Gregory Coutaut