Critique : Her Smell

Becky Something est une superstar du rock des années 90 qui a rempli des stades avec son girls band : « Something She ». Quand ses excès font dérailler la tournée nationale du groupe, Becky est obligée de compter avec son passé tout en recherchant l’inspiration qui les a conduites au succès.

Her Smell
États-Unis, 2019
De Alex Ross Perry

Durée : 2h14

Sortie : 17/07/2019

Note :

REBEL GIRL YOU ARE THE QUEEN OF MY WORLD

Les personnages d’Alex Ross Perry (lire notre entretien) sont plus cools que les autres. Artistes, intellectuels, souvent new-yorkais, toujours jeunes et beaux. Mais ce que les films du cinéaste révèlent, c’est justement l’angoisse tapie derrière le cool. Et à chaque fois, derrière l’humour, la névrose se fait un peu plus profonde (Queen of Earth), un peu plus amère (Golden Exits). Comme si la filmographie de Perry s’affolait telle une cocotte-minute de plus en plus proche de l’implosion. De fait, dans Her Smell, l’angoisse ne se contente plus de grignoter gentiment son héroïne cool, Beckie Something. Elle la dévore complètement.

Dès la première scène du film, Beckie débarque en défonçant à moitié la porte de sa loge. Affolée comme une bête en cage, la voilà plantée dans le champ de la caméra, et impossible dès lors de détourner les yeux face à son charisme et sa violence mal contenue. Dans les coulisses de la salle où elle joue avec son groupe, elle remue, se perd, revient, le tout dans un impressionnant plan séquence claustrophobe. Incapable de semer la caméra qui la suit partout, incapable de trouver la sortie de secours, Beckie est comme un minotaure enragé, à la fois bourreau et victime du labyrinthe qu’elle s’est construite.

Il y a quelque chose de masculin chez Becky. Sa morgue épuisante de sale gamin gâté, son assurance toxique de pouvoir tout envahir, tout casser dans une chambre d’hôtel, et de toujours s’en sortir. Pour créer le personnage, Alex Ross Perry s’est inspiré à la fois de modèles masculins et féminins. S’il cite volontiers Axl Rose ou David Lee Roth, la principale source d’inspiration d’Elisabeth Moss est plutôt The Punk Singer, l’émouvant documentaire consacré à Kathleen Hanna, des groupes Bikini Kill et Le Tigre, comète punk et égérie queer tombée depuis dans un silence médiatique. Beckie fait d’ailleurs penser aux paroles de Rebel Girl de Bikini Kill, morceau étendard du mouvement Riot Grrrl: « Cette fille se prend pour la reine du quartier ».

Avec sa structure narrative inattendue, Her Smell ne ressemble jamais à un biopic musical, même de loin. Il n’y a aucune explication psychologique, aucune référence au passé où à l’avenir, que Beckie cherche à fuir de toutes ses forces. Âpre, le film est sans cesse dans un angoissant état présent, tendu comme un arc. Avec ses longues séquences immersives et ses dialogues de sourds, le film hypnotise, mais menace à plusieurs moments de tourner en rond à force de rester aussi longtemps sur une même note. Ce serait sans doute le cas par moments si, pour redresser la barre, il n’y avait pas Elisabeth Moss.

A la fin Rebel Girl, Kathleen Hanna hurlait ainsi son admiration désespérée d’une rébellion féminine : « Cette fille se prend pour la reine du quartier ? Vous savez quoi : elle a bien raison, elle l’est ! ». La reine du quartier, c’est effectivement comme ça qu’on a envie d’appeler Elisabeth Moss, une fois de plus parfaite. Interprète idéale pour traduire cette frontière entre folie cool et folie tout court, Moss traverse le film comme si elle trônait sur le bulldozer de son propre charisme. Ce rôle vampirique est à la mesure de son talent.

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par Gregory Coutaut

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