Critique : Halte

Nous sommes en 2034. Cela fait trois ans que l’Asie du Sud-Est est dans le noir, littéralement. Le soleil ne se lève plus, suite à des éruptions volcaniques massives dans la mer de Célèbes. Des fous dirigent les pays, les communautés, les enclaves et les villes. Des épidémies cataclysmiques ont ravagé le continent. Ils sont des millions à être morts, des millions à être partis.

Halte
Philippines, 2019
De Lav Diaz

Durée : 4h36

Sortie : 31/07/2019

Note :

LA NUIT AVEUGLANTE

Le nouveau film de Lav Diaz (lire notre entretien) se déroule dans un futur proche, en 2034, mais ceux qui connaissent le cinéaste philippin savent que chez lui toutes les époques sont la saison du diable. Halte se passe donc dans le futur, mais un futur à l’arrêt. Suite à des éruptions volcaniques survenues trois ans auparavant, le soleil ne se lève plus et toute l’Asie du sud-est est plongée dans une nuit noire éternelle. La pluie tombe sans fin, prête à engloutir la population. Mais le marasme que Diaz filme n’est pas tant écologique qu’idéologique. « Les Philippins ont-ils encore une âme ? Notre pays a t-il une âme ? ».

Lav Diaz nous racontait qu’avant de tourner son précédent film, La Saison du diable, il se trouvait aux États-Unis, au moment de l’élection de Donald Trump. «  J’étais en train de travailler sur un film de gangster. J’ai ressenti un besoin urgent de faire un film au contenu plus directement politique ». Diaz a toujours travaillé la mauvaise conscience philippine, mais Halte poursuit directement le geste politique de La Saison. Il y a à nouveau une perspective étonnante : aux chansons succède la science-fiction. Mais les chansons, exprimant la nature-même du fascisme dans La Saison du diable, ou la science-fiction de Halte, qui ne fait que mettre en valeur l’urgence du climat politique actuel, ne nous mettent pas à distance – ces artifices nous rapprochent du sujet.

Quelle société peut bien produire ce pouvoir ? Lav Diaz filme une multitude de protagonistes pour la plupart pétrifiés ou démunis. Une autrice écrit sur ce pays « sans mémoire » mais ce savoir n’est pas transmis. « Les Philippins ne veulent pas se souvenir ». Les stylos à bille n’ont pas d’encre. Diaz dépeint une damnation et comme souvent chez le cinéaste, on rampe, on boite, on traine. Tout cela dans une atmosphère nocturne surréelle, que le cinéaste capture avec une beauté funèbre. Il dépeint aussi une fracture. Dans La Saison du diable, le despote Narciso s’exprimait par un langage imaginaire. Le pouvoir est ici aussi un masque grotesque avec ce roi déglingué. Son futur à lui et celui qu’il propose sont ceux de la récession – vers l’enfance et la folie.

Le futur dans Halte offre un reflet du présent mais à travers un miroir brisé. Il y a quelque chose du réel mais aussi un léger déplacement surréaliste : les drones de SF ressemblent à des lucioles menaçantes, des autruches égarées se retrouvent dans la rue et la chair des condamnés est jetée aux crocodiles. Les exécutions s’enchainent comme des deus ex machina ; à croire qu’il n’y a d’ailleurs qu’un deus ex machina pour renverser le pouvoir et sa folie. « Est-ce qu’on est des monstres » ? Les hommes sont-ils devenus des robots ? Lav Diaz explique avoir voulu faire un film sur « la mort de la moralité et de la vérité ». Le film se déroule loin, dans le temps et l’espace, mais saisit avec puissance ce qui se passe ici et maintenant.

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par Nicolas Bardot

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