Critique : Hagazussa (Incantations)

15e siècle, en Autriche. La jeune Albrun vit avec sa mère dans une région montagneuse et isolée. Lorsque sa mère tombe gravement malade, Albrun se retrouve seule. 15 ans plus tard, Albrun devient mère. Mais sans mari, elle est mise au ban de sa communauté…

 

Hagazussa (Incantations)
Allemagne, 2017
De Lukas Feigelfeld

Durée : 1h42

Sortie : 31/07/2019 (en dvd)

Note : 

SEULE DANS LES MONTAGNES LA NUIT

« L’histoire d’une femme qui est confrontée à la persécution, au harcèlement et au traumatisme à l’époque médiévale, et quels effets cela peut avoir sur l’état mental ». C’est en ces termes que le réalisateur autrichien Lukas Feigelfeld nous a présenté son premier long métrage, Hagazussa – A Heathen’s Curse. Cela constitue le point de départ archétypal d’un cinéma de genre dont le caractère iconoclaste et subversif figure dans l’ADN ; au croisement d’un sujet parfaitement actuel (peu importe que le récit se déroule au Moyen-Âge) et du conte immémorial.

Hagazussa prend le temps de déployer son récit, s’attache à l’atmosphère plus qu’à l’action et avance avec confiance. Sa lenteur hypnotique perdra quelques spectateurs mais l’expérience vaut largement le coup pour ceux qui resteront.Car au shocker de fête foraine, l’horreur chez Feigelfeld préfère un chemin plus insidieux, plus ambivalent. Il efface les repères et nous plonge dans la nuit noire d’une forêt, dans la nuit noire de montagnes isolées du monde entier. Et il observe le vacillement : de son héroïne vers la folie, de ce qu’elle voit et ce qu’elle imagine, du réel au surnaturel.

Feigelfed opère avec la minutie d’un chirurgien mais pourtant Hagazussa semble sans cesse être l’œuvre d’un magicien aux tours invisibles. Le travail sur le son est remarquable, il y a une très appréciable économie de dialogues (là où tant d’autres jeunes cinéastes du genre aimeraient tout expliquer et verbaliser) et le bourdonnement menaçant de la musique envoûte. Qualité précieuse de l’horreur : le jeune cinéaste sait parfaitement comment installer une inquiétante étrangeté qui nous fait reconsidérer tout ce qu’on voit et ce qu’on ressent.

Un crâne – pas n’importe lequel – est posé telle une vanité dans le modeste logis d’Albrun. Ce pourrait être la société patriarcale qui observe sa sorcière jusqu’à vouloir la brûler ; c’est la mort ici qui l’observe avec de jolies fleurs finement dessinées sur le crâne. Lukas Feigelfeld allie la puissance allégorique du conte, ici puisé de légendes païennes d’Allemagne et d’Autriche, au propos politique en même temps qu’à l’expérience sensorielle et mystique.

Le long métrage, une formidable révélation, gagne à tous les niveaux. Son succès est parachevé par un dernier acte gonflé, bluffant et mystérieux. On se plonge dans cet Hagazussa comme dans un marécage qui nous enveloppe et ne nous lâche plus.

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par Nicolas Bardot

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