Habibi, Chanson pour mes ami.e.s suit la préparation du dernier cabaret de la saison. Des missions solidaires de la Flèche d’Or aux répétitions des artistes du cabaret, il fait le portrait de celles et ceux qui font vivre ce lieu, et pose la question de l’accueil et de l’engagement politique et artistique. Avec cette idée qu’à la Flèche d’Or, comme au cabaret Habibi, l’accueil se pense à travers une suite de décisions économiques, artistiques et humaines. Une longue suite de choix qui disent un positionnement et racontent une aventure collective.
Habibi, chanson pour mes ami•e•s
France, 2024
De Florent Gouëlou
Durée : 1h20
Sortie : prochainement
Note :
À LA SCÈNE COMME À LA VILLE
Lors du salut sur scène, au tout début de Habibi, chanson pour mes ami•e•s, quelques drag queens s’avancent en direction du public venu les admirer. Les spectatrices et spectateurs applaudissent à tout rompre, saluant à leur tour ces reines scintillantes, apparitions glamour et fantasmes vivants. Mais en un cut, la magie et son nuage d’illusions semblent s’être évaporés. Un taxi de nuit à la place du carrosse, puis les artifices défaits un à un : un corset serré, dénoué, qui laisse des traces dans la chair. Les pads (des accessoires utilisés pour dessiner des hanches spectaculaires) sont ôtés, et la géante sur scène se retrouve comme rétrécie dans son appartement. Est-ce un retour au réel ? Le parti-pris de Habibi, chanson pour mes ami•e•s est plutôt de montrer que le réel, on ne l’a jamais vraiment quitté.
Florent Gouëlou, qui s’est distingué avec quelques courts métrages et un long (Trois nuits par semaine) déjà dédiés à l’art du drag, dévoile les coulisses des Soirées Habibi. Il s’agit d’un show drag mensuel à Paris, présenté par Gouëlou lui-même à travers son alter-ego Javel Habibi. Le cinéaste s’entretient avec les drag queens présentes sur scène ce soir-là : Sara Forever, Ruby on the Nail, Kiara Bolt et Tuna Mess. Différents artistes drag et autant de points de vue sur les codes de féminité suivis ou brisés, sur ce qu’on peut mettre de profondément intime dans une mise en scène de l’artifice, sur l’identité, sur cette autre peau enfilée (littéralement lorsqu’il s’agit d’une poitrine ou d’un torse taillés en silicone). Avec un regard attentif, Florent Gouëlou s’invite dans les chambres et les placards des queens – et le cœur-même de Javel Habibi tient, selon ses propres dires, « dans une boite ».
Dans ce portrait épuré et attachant du drag et de ses coulisses, le cinéaste met l’accent sur le travail. Il y a des lumières, des perruques et des sequins, mais aussi beaucoup de répétitions. Avant d’être sublime sur scène, il y a quelques galères en short. A travers à un habile montage, Habibi montre des artistes hors drag, en train de répéter une chorégraphie, puis les mêmes personnes en drag, poursuivant le même mouvement. Ce n’est pas un avant/après : c’est une manière de traduire au plus près la perception de soi – la queen sirène nage déjà dans son océan imaginaire lorsqu’il est en garçon. Comme dans Trois nuits par semaine, Florent Gouëlou compose le chaleureux et généreux portrait d’une communauté.
La particularité des soirées Habibi, mais aussi du long métrage de Gouëlou, est de se dérouler dans un lieu associatif et espace solidaire : la Flèche d’or. On suit ici ou là les distributions de produits de première nécessité. C’est une salle de concert, mais c’est aussi une cantine. A l’image du drag qui ne peut être imperméable au monde, le cinéaste raconte la porosité de ce lieu. Ce ne sont pas deux mondes, c’est le même, partagé. Cette partie du film est parfois, à nos yeux, davantage suggérée qu’explorée. Mais par touches subtiles, le long métrage rappelle l’essence politique du drag qui ne peut se résumer à une alcôve de fantaisie. Habibi a également une précieuse valeur (future) de témoignage, imprimant à l’image une mémoire en devenir alors que les traces filmées du drag dans les années 80, 90 ou même 2000 restent très rares.
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par Nicolas Bardot