A voir en ligne | Critique : Dieu existe, son nom est Petrunya

A Stip, petite ville de Macédoine, tous les ans au mois de Janvier, le prêtre de la paroisse lance une croix de bois dans la rivière et des centaines d’hommes plongent pour l’attraper. Bonheur et prospérité sont assurés à celui qui y parvient. Ce jour-là, Petrunya se jette à l’eau sur un coup de tête et s’empare de la croix avant tout le monde. Ses concurrents sont furieux qu’une femme ait osé participer à ce rituel. La guerre est déclarée mais Petrunya tient bon : elle a gagné sa croix, elle ne la rendra pas.

Dieu existe, son nom est Petrunya
Macédoine du Nord, 2019
De Teona Strugar Mitevska

Durée : 1h40

Sortie : 01/05/2019

Note : 

CHEMIN DE CROIX

« Mon dieu, mais quoi encore cette fois ? » : dans cette première scène qui lance le ton de cette farce grinçante signée Teona Strugar Mitevska (lire notre entretien), Petrunya est encore à l’abri dans son lit et rechigne à se lever comme si elle pressentait que le monde autour d’elle était susceptible de lui tomber sur la tête. Mais c’est plutôt elle qui va tomber comme un cheveu sur la soupe de tout le monde. Petrunya est une fille discrète et sans histoire, mais à 32 ans elle n’est plus considérée comme assez jeune ou assez baisable. Son étouffante maman n’est franchement pas la dernière pour le lui rappeler, allant jusqu’à lui conseiller dès le saut du lit de mentir sur son âge, de changer de tenue, de nom. Petrunya ne rentre pas dans le moule et dérange. Quand elle croise un cortège religieux (forcément masculin), elle est en plein dans leur chemin, au sens propre comme au figuré. Or, elle s’apprête à débouler comme un ouragan.

« Êtes-vous croyant ? » demande-ton à ses parents. « Bien sûr, nous fêtons les jours fériés » répondent-ils avec le plus grand sérieux. Dans la maison familiale comme dans la rue du village, la religion est partout, jusqu’à ce qu’on ne la remarque plus, et qu’on n’y réfléchisse plus. Dans la tête de Petrunya, ballottée par ses étouffantes traditions, un riff de guitare qui hurle « fuck fuck fuck ». Suite à une humiliation de plus, Petrunya s’incruste au débotté dans un rituel religieux absurde, dans lequel des hommes doivent prouver leur virilité en plongeant dans une rivière glacée pour en ramener une croix. La relique en question est censée apporter la chance à son détenteur. Une promesse en carton qui ne manque pas de sel vu la suite des événements.

Ce rituel n’a en réalité plus grand chose à voir du tout avec la Chrétienté, et ressemble en réalité à un jeu débile pour gaillards toxiques. Le blasphème de Petrunya est donc double, car il concerne les rites de l’Église et les codes sociaux de la masculinité. Deux instances qui ont en commun de s’épanouir quand la femme est laissée loin dans la marge. Que la main de Petrunya ose se poser sur l’objet sacré, et le premier réflexe de tous les mecs autour d’elle est de la piétiner. Normal. C’est quand elle refuse de se laisser oublier et qu’elle commence à ouvrir sa bouche qu’elle ouvre, par la même occasion, la boite de Pandore du patriarcat. « Rien que d’être une femme c’est déjà briser les règles ».

Qu’est-ce qu’une tradition ? C’est un phénomène humain qu’on ne peut tout simplement plus expliquer par la logique. Une tradition c’est quand « c’est comme ça et pas autrement », uniquement parce qu’on est bien en peine de trouver une quelconque autre justification. Les pieds sur la table du commissariat, drapée dans son bon droit, Petrunya voit autour d’elle les hommes devenir enragés, comme s’ils étaient soudain émasculés. Entre la bonne foi médusée des uns, la mauvaise foi grimaçante des autres, Petrunya se retrouve au milieu d’une hilarante partie de ping pong quand chacun accuse l’autre de folie, se passant la culpabilité comme une patate chaude.

Mais si le ton est à la farce, cette violente répression imposées aux femmes qui osent ne pas rester « à leur place » est bien réelle. Rien que dans l’actualité française, les exemples glaçants ne manquent pas. D’ailleurs, le film s’inspire d’une histoire entièrement authentique. Un personnage secondaire vient nous le rappeler les yeux dans les yeux : « la Macédoine de 2018, c’est encore le Moyen-âge pour les femmes ». Ce n’est pas le seul regard caméra du film : timidement au début, puis de plus en plus fièrement, les personnages féminins viennent directement rencontrer notre regard. Dans cette féroce histoire de prise de pouvoir, c’est moins un défi qu’un passionnant passage de relai. Un empowerment contagieux et jubilatoire qui donne envie de sauter dans toutes les rivières.


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par Gregory Coutaut

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