Critique : Girl

Lara, 15 ans, rêve de devenir danseuse étoile. Avec le soutien de son père, elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu. Mais ce corps ne se plie pas si facilement à la discipline que lui impose Lara, car celle-ci est née dans un corps de garçon.

Girl
Belgique, 2018
De Lukas Dhont

Durée : 1h45

Sortie : 10/10/2018

Note : 

CORPS ET ÂME

Reparti couvert de prix lors du dernier Festival de Cannes (Caméra d’or, prix d’interprétation et prix Fipresci à Un Certain Regard ainsi que Queer Palm), Girl est le premier long métrage du Belge Lukas Dhont. Et celui-ci a effectivement les épaules pour accueillir et mériter tous ces honneurs. Girl traite d’un sujet particulièrement délicat : comment une jeune fille née dans un corps de garçon vit ce trouble identitaire ? C’est une question universelle (quelle identité à un âge aussi changeant que l’adolescence) mais qui est surtout ici très spécifique : l’héroïne sait qui elle est dès son très jeune âge, mais comment vit-on cette transition, en soi comme aux yeux des autres ?

L’identité de Lara n’est pas traitée comme un secret. C’est le train d’avance qu’a le film sur d’autres fictions pédagogiques sur la transidentité. Sans éluder cet aspect, l’un des intérêts du film est de ne pas se limiter à un conflit entre l’héroïne et les autres. L’écriture ici est plus complexe. Malgré la bienveillance de certains à son égard, malgré la famille qui l’entoure, Girl décrit la solitude extrême et semble t-il inévitable dans laquelle se retrouve le personnage face à elle-même. Avec intensité et ambigüité, Girl dépeint le conflit intérieur traversé par sa jeune héroïne, mais aussi l’urgence dans laquelle elle se retrouve comme les épuisants obstacles qu’elle a à franchir.

Le choix de la danse, une discipline physique exigeant une grande rigueur, file la métaphore. Lara s’épuise, se contraint, et son corps est filmé avec insistance. Une trop grande insistance ? C’est une question légitime. Le film aurait parfois peut-être pu mieux régler cet équilibre – entre ce qui aurait été une pudeur hypocrite et ce qui ici ressemble à une accentuation aux portes de la complaisance. C’est aussi là que peut se poser le choix de Victor Polster pour le rôle principal. Mais après avoir vu le film, en constatant ce qu’il exige (physiquement et émotionnellement) et qui réduit drastiquement les possibilités de casting, difficile de faire ce procès à Lukas Dhont.

Par-dessus tout, Polster livre une interprétation extraordinaire. D’abord parce que lui et le réalisateur-scénariste ont su composer un personnage complexe et poignant. Mais aussi parce qu’il y a cette performance incroyable de rendre émouvant un personnage qui, précisément, met toutes ses émotions en veille. Comment exprime t-on des émotions lorsqu’on porte, comme Lara, un masque qui les dissimule toutes ? Le résultat est un travail subtil et remarquable dans ce film bouleversant sur ce qu’il dit de l’identité – ce grand cri poussé par une héroïne pourtant silencieuse.

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par Nicolas Bardot

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