Ray et Alice, la vingtaine, ne manquent pratiquement de rien dans la vie – et c’est peut-être leur plus gros problème. Que ce soit en termes d’amitié ou d’amour, de temps libre ou de travail, il n’y a guère d’enjeux dans leur existence. Une fois qu’ils ont tacitement enterré leurs vagues ambitions, tout ce qui reste, ce sont des tentatives timides aux résultats indéterminés…
Friends and Strangers
Australie, 2021
De James Vaughan
Durée : 1h24
Sortie : disponible sur Mubi
Note :
RENDEZ-VOUS EN TERRE INCONNUE
La première chose qui frappe dans Friends and Strangers de James Vaughan (lire notre entretien), c’est la grande beauté de ses compositions et la mise en valeur de ses paysages. Les banlieues verdoyantes et cossues de Sydney y sont baignées d’une lumière dorée de fin d’après-midi, comme si elles étaient nappées d’une douce torpeur couleur champagne, en plus d’un paisible silence. Quelle place pour les humains dans ces lieux déserts, que ce soit parmi la majesté géométrique des gratte-ciels du centre d’affaires ou bien face la à nature des parcs nationaux, bien organisée comme une vitrine? Comment se trouver une place qui fasse sens dans ce cadre luxueux qui pousse au farniente – au sens propre, celui de « ne rien faire » (fare niente).
Ne rien faire, c’est un peu la spécialité de Ray. « J’aime observer les détails quotidiens de la vie des gens » explique-t-il, mais c’est face à sa propre vie qu’il parait rester spectateur. Le regard mélancolique qui glisse à la surface des choses, Ray s’adapte à tout dans un haussement d’épaule. Portant le poids nonchalant des gens sans problème, Ray traverse son quotidien en se laissant gentiment embarquer par les autres et leur ressac. Marmonnée comme dans du mumblecore new-yorkais, sa conversation est toujours plaisante et polie mais trop lisse pour refléter une implication intime. Où qu’il soit, il semble n’avoir aucune idée de pourquoi il est là, et s’en accommode comme un spectre un peu bougon. Ce décalage n’est pas sans humour (« tout ça va trop vite » se reprend-il après avoir seulement caressé le bras d’une fille), mais il fait aussi planer l’ombre d’une dépression feutrée sur la majeure partie du film.
Puis, l’idée que Ray n’est nulle part à sa place se teinte peu à peu d’une autre ambition. Le ton du film évolue, les registres s’étoffent (comédie moqueuse, inquiétante paranoïa, soupçon fantastique) à mesure que tout son entourage semble être frappé d’une malédiction similaire. Friends and Strangers effectue des virages casse-gueule, secoue sa propre beauté contemplative à mesure qu’un refoulé collectif vient refaire surface dans une grimace bouffonne. La métaphore se déploie alors dans des dimensions inattendues. C’est la société blanche, riche et oisive dans son ensemble qui n’est pas à sa place sur ces terres appartenant aux aborigènes. Le doux farniente des privilégiés comme Ray, c’est l’agitation intellectuelle qu’ils déploient pour tenter d’oublier leur culpabilité : celui d’avoir commis le plus grands des home invasions.
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par Gregory Coutaut